Kanye West - My Beautiful Dark Twisted Fantasy

Ah ça fait du bien! On voit beaucoup de disques nous passer sous le nez dans l'année quand on fait des chroniques, mais il y en a peu qui permettent de vraiment se lâcher sur le commentaire. Souvent l'artiste est humble avec son travail, ou du moins n'affiche pas d'ambitions démesurées. Souvent c'est indépendant, et plus de temps est passé sur la composition que sur la production. Je généralise un peu, mais il faut avouer que les très gros morceaux sont rares. Et là, aujourd'hui, on a le droit à du très très lourd. Rien de moins que le sixième album de Kanye West, qui est sans doute le rappeur le plus en vue de toute la planète. Les critiques sont souvent dithyrambiques, le public adhère largement. Et pour ne rien gâcher, Kanye West est doté d'un ego sur-dimensionné vis-à-vis de sa musique et de ses engagements. C'est comme si toute la planète hip-hop s'arrêtait de tourner quand il décidait de faire quelque chose. Et donc, un nouvel album, qui nous est promis depuis plusieurs mois avec une régulière sortie de singles, qui réunit toutes les stars des majors, les meilleurs producteurs (Pete Rock, RZA entre autres...), bref, vous avez compris. Et en plus, le précédent album nous avait présenté Kanye West gonflé à l'electro, abandonnant ses samples finement travaillées qui avaient fait sa réputation, et on nous promet un « retour aux sources » avec My Beautiful Dark Twisted Fantasy. J'ai envie de dire, c'est du pain béni pour qui aime faire des chroniques de disques.

Première chose: mettre un casque, parce que quand des dizaines de personnes ont passé des mois à fignoler le mix, ça serait dommage de pas en profiter. Et là, ne boudons pas notre plaisir, le son est tout bonnement énorme, c'est chatoyant, ça caresse les oreilles, c'est parfait. Il faut le noter, parce que le contraire aurait été très décevant, vu l'ambition de Kanye. Bref, de ce côté là on n'est pas trompé sur la marchandise au moins. Et il faut avouer que ça aide quand même vachement à apprécier un album. Côté ambition musicale, on ne nous cache rien non plus, l'album commence sur des lourds accords de piano et des chœurs, le ton est donné. « Dark Fantasy » est un parfait titre introductif, assez classique, épique pour donner envie d'entendre la suite, juste ce qu'il faut. Et en effet, Kanye revient à un rap plus conventionnel, mais qui garde un bon flow, là où 808s & Heartbreak faisait la part belle au chant. La suite ? Comme souvent en ce moment, l'album démarre bille en tête, et les grosses tueries s'enchainent les unes après les autres dès le début. « Gorgeous » est excellent avec sa guitare saturée et son refrain fédérateur. Avec la participation de Kid Cudi et Raekwon, excusez du peu. On monte d'un cran avec « Power », qu'on connaissait déjà, qui est simplement énorme, car bien plus original. Un beat plus présent et agressif, des chœurs africains et « 21st Century Schizoid Man », utilisée juste au bon moment, même si on pourrait trouver ça facile. Le résultat est surprenant et franchement bon, et on tient le meilleur titre de l'album, sans problèmes.

Oui, parce que la suite donne un peu dans le racoleur, pour ne pas dire putassier. Un petit « Interlude » à base de violon et piano, bon ok, passons. Et puis « All of the Lights », qui sent le tube dès le début, mais genre très très fort. Une mélodie de trompette simple, pour bien s'imprimer dans la tête à coup de rotations lourdes à la radio. Et un casting... Si je vous dis que les featuring sont Rihanna, Alicia Keys, Elton John, Fergie, John Legend, The-Dream, Tony Williams, Kid Cudi, Charlie Wilson, Ryan Leslie et Elly Jackson, vous voyez ce que je veux dire ?* Alors oui, le beat est génial, ça sonne comme un breakbeat sourd sauf que c'est en rythme. Mais mon Dieu que c'est boursouflé, et qu'est ce que ça sonne « Tube de l'année » en grosses lettres néons clignotantes... C'est dommage, on était bien parti. Mais là Kanye nous a coupé dans notre élan, dans notre truc « Putain, ça défonce! ». Pas que « Monster » soit un mauvais titre, bien au contraire, il y a encore un invité de marque en la personne de Jay-Z et le rap est excellent**, mais il ne provoque pas cette même euphorie que le début de l'album. Kanye donne l'impression d'avoir tout donné dans son potentiel créateur de tubes, et la suite sonne comme une succession d'exercices de styles, qui font partir l'album dans tous les sens, même si on y trouve quelques bonnes choses.

Bon, je suis un peu sévère, l'instru de « So Appalled » est très bien trouvée, dans le genre ambiant sombre très diffus, et on se croirait dans un morceau East Coast des 90's (ce qui est un peu le must pour moi, comprenez), à part le refrain "One hand in the air" (merde quoi...). Mais par la suite, il semble que que Kanye West veuille dire à tout son public « Non non, je vous assure l'electro et l'autotune c'était juste un passage, je sais faire des choses avec des samples et même des vrais instruments! ». « Devil in a New Dress » ne nous marquera donc pas, à grand renfort de solos de guitare et de choeur féminins, taggée love song en gros dessus. En fait, l'ordre des pistes donne l'impression que Kanye n'est pas maitre de sa musique. Je m'explique. Les gros tubes au début, comme pour faire sa BA, même s'ils sont très bons, et ensuite, des titres bien moins accrocheurs, mais bien plus intéressants avec des samples audacieux. Même si «Blame Game » qui reprend « April 14th » de Aphex Twin n'est pas une très franche réussite à vrai dire, sonnant soit complètement à côté, soit trop larmoyant. 

Par contre, la collaboration avec Bon Iver, qui reprend « Woods » est particulièrement intrigante, l'autotune sur la voix de Bon Iver faisant raccord avec Kanye, mais malheureusement la suite est un peu trop facile, le refrain étant repris version four on the floor, j'exagère à peine. « Hell of a Life » aimerait bien ouvrir le hip hop de Kanye aux sons à la mode dans le rock actuellement, c'est-à-dire les vieux Black Sabbath avec un son lourd et lent, quasiment doom metal, et un refrain qui reprend le riff de « Iron Man ». Ca fait plaisir même si c'est assez facile et cette chanson est vraiment la plus attachante de cette fin d'album. Parce que même le long « Runaway » qu'on avait déjà entendu, ne convainc pas vraiment, avec cette interprétation qui se veut sans doute poignante, et la fin instrumentale avec (encore) un solo de guitare***. On sent un effort de la part de Kanye pour faire des chansons plus construites sur la longueur que ses tubes hip hop, mais sans réel succès. L'album se termine sur un sample de Gil Scott-Heron, qui veut peut-être surfer sur son retour triomphal de cette année, ou simplement s'inscrire dans la lignée de cet artiste reconnu, précurseur musicalement et engagé socialement.

J'ai fait un peu long, mais comprenez bien qu'un tel album mérite qu'on s'y attarde, rien que pour chercher la petite bête à un artiste qui se veut au sommet (et qui l'est probablement). Ce nouvel album de Kanye West est sans doute le plus ambitieux, et l'expérience electro n'est pas restée totalement lettre morte. Mais l'ambition de Kanye fonctionne inégalement, et comme on dit chez nous « Qui trop embrasse, mal étreint ». Certains titres sont de très belles réussites, et chez d'autres on salue davantage l'intention que le résultat. Kanye West est certainement un des rappeurs qui se donne le plus les moyens de faire avancer sa musique, mais son audace est à double tranchant, et on perd plus souvent le fil qu'on ne le suit. Je suis bien sûr un peu sévère, mais je m'adapte à mon sujet. My Beautiful Dark Twisted Fantasy reste un des meilleurs album de hip hop de cette année, même si j'ai pour ma part préféré la relative humilité d'un Big Boi, qui faisait pardonner la même inégalité.






*: D'ailleurs il y a tellement de featuring sur l'album que Kanye rappe très peu au final.
**: Après réécoute, c'est Nicki Minaj qui relève le niveau de rap de tout le morceau, m'amenant à trouver ça excellent.
***: C'est surtout cette fin qui tue le morceau, même si dès le début je trouve ça un peu pompeux.

Commentaires

  1. Et Pitchfork colle un 10.
    Les trois premiers morceaux m'ont éclaté. Le reste m'a ennuyé, voire révolté. Le sample de "Avril 14th" d'Aphex ça mérite une pendaison.
    Et ça se ramollit terriblement comme film. Il essaie de ménager rap et tube, et ça sonne creux du coup. J'ai eu l'impression, à la cinquième écoute, d'entendre le dernier Shakira ou Rihanna. C'est la même chose... Alors ouais, la production est dingue, mais pourquoi au final ? C'est assez inutile.

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  2. J'en dis comme Nathan...

    Dis Spiro, tu aurais une adresse mail à laquelle je pourrais t'écrire (envoie la moi à contact@playlistsociety.fr ; merci d'avance)

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