Kaamelott - Livre VI


Ah j'en aurais entendu des choses sur ce livre VI de Kaamelott. Et, près d'un an et demi après sa diffusion, je trouve que la polémique qu'il a soulevé est formidable. Parce que souvent, les fans de la première heure ne manquent pas de bons arguments pour critiquer une série qui s'est fourvoyée. Dans le cas de Kaamelott, les premiers fans se posent en personnes douées d'un esprit critique supérieur aux « fanboys » qui cherchent à défendre cette dernière saison « scandaleuse ». Et pourtant, j'ai l'intime conviction que, pour une fois, la baisse d'audience et les critiques portées à la série par ses fans les plus sincères ne sont pas le signe d'une baisse de qualité. Pourquoi ? Eh bien déjà, parce que n'importe qui peut devenir fan de Kaamelott, sans en saisir toute la qualité. Et avec les 4 premiers livres en format court, avec un rythme réglé au millimètre, des dialogues parmi les meilleurs qu'on puisse entendre à la télé et des personnages incarnés à merveille par leurs acteurs, forcément, tout le monde a adoré. En gros, ce qu'on aimait chez Kaamelott, c'était la foultitude de répliques cultes, et la stupidité d'ordre général incarnée par Karadoc et Perceval.

Et pourquoi le livre VI a provoqué un tel tollé chez les fans ? Et bien parce que Alexandre Astier a changé de format. Ça peut paraître dérisoire, mais c'est bien la seule chose. Déjà avec le livre V, le changement de format s'accompagnait d'une ambiance plus travaillée et sombre, et d'une réalisation qui, bénéficiant de plus de moyens, se permettait de sortir du carcan de la série à petit format. Mais on restait en Bretagne. L'humour restait intact. Et dans le livre VI, qu'arrive t-il ? Alexandre Astier nous emmène à Rome ! Scandale ! Les fans n'ont plus rien, ils n'ont plus l'humour original, ou du moins partiellement seulement, ils n'ont plus le rythme, et les personnages sont différents ! On leur demande d'être réceptif à d'autres choses qu'aux répliques écrites pour les faire rire ! Entendez bien, je suis moi-même un fan de Kaamelott de la première heure, et je ne généralise ici que sur une certaine frange de tous les fans de la série, mais qui reste tout de même assez caractéristique (il faut dire que je n'ai trouvé aucune critique de ce livre VI dont les arguments allaient au-delà du manque d'humour). Mais je trouve que ces fans sont presque indigne du talent d'Alexandre Astier.


Pourquoi indigne ? Parce que Kaamelott ce n'est pas qu'une successions de vannes bien écrites. Je trouve que c'est faire bien peu d'honneur à la série que de la réduire à ça, et donc de gueuler dès que ça change. Non, Kaamelott c'est bien plus profond que ça. Déjà, il y a toute une influence du monde du théâtre chez Kaamelott, qui explique sans doute son succès dans le paysage assez morne des séries télévisées françaises. Cette influence, on la retrouve dans les dialogues et dans le jeu des acteurs (ou plutôt dans la direction d'acteurs d'Astier, car beaucoup de guests venant du cinéma ou de la télé se retrouvent transcendés dans la série), mais cet aspect a déjà été bien commenté. Moins évident, on retrouve aussi l'influence du théâtre dans cette manière de revisiter la légende arthurienne. Alexandre Astier ne voulait pas signer une simple parodie, ce qui l'aurait simplement conduit à se placer sur le même plan que le film des Monty Python. Non, à la manière d'un metteur en scène de théâtre, il réinterprète librement et en profondeur l'histoire originale. Il ne s'agit pas seulement de faire de la moitié des chevaliers des incompétents. Il exploite l'amour de Lancelot pour Guenièvre pour en faire un traître, il joue habilement sur la notion de destinée en faisant de l'élu un homme fondamentalement perdu et dépressif, se réfugiant derrière son mauvais caractère.

Bref, vous aurez bien compris qu'il y a dans Kaamelott bien plus que ce que les premiers livres laissaient voir. Et quand on comprend ça, on est à même d'apprécier le livre V, et à fortiori le livre VI. Le changement de format a évidemment entrainé un rythme complètement différent. Alors que le livre V était encore monté avec un rythme assez soutenu, le livre VI est réalisé comme une série américaine: c'est rythmé, mais on prend son temps. Les introductions sont parfois, comme dans les séries américaines, des petits aparté qu'on ne pouvait pas tellement insérer dans le fil de la narration mais qui participent à la compréhension globale (la réunion des Dames aux cieux par exemple). En plus d'un changement de rythme, il y a un changement d'atmosphère. Rome n'est pas la Bretagne. Alexandre Astier a donc changé les ressorts humoristiques qu'ils utilisait jusqu'à présent. A Rome, les gags ne sont plus aussi clairs. A la grossièreté bretonne a succédé la subtilité romaine. Beaucoup de gags reposent ainsi sur la hiérarchie sociale romaine qui fait que beaucoup de personnages ne savent pas comment s'adresser à leur interlocuteur. Et le personnage qui incarne ce nouvel humour est le très sous-estimé Spurius Cordius Frontinius (Pascal Demolon), que je trouve pour ma part hilarant, même si au début on ne comprend pas trop ce qu'il fout là.


De plus, les personnages ont 15 ans de moins, et les acteurs jouent donc différemment. Arthur ne peut pas agir de la même façon quand il est un simple soldat de la milice urbaine et quand il est roi de Bretagne, sans aucun vassal. Alexandre Astier joue cette rupture à merveille, notamment dans l'épisode "Centurio" où, s'adressant à un sénateur, ce n'est pas par remarques acerbes qu'il s'exprime, mais par une gêne polie, ce qui ne l'empêche pas de montrer son caractère avec ses amis. La plupart des autres acteurs restent fidèles à eux-mêmes, il faut dire que pour eux le changement a été moins rude. Un mot tout de même sur les nouveaux personnages, qui manquent un peu d'originalité en général je trouve, mais qui donnent un coup de neuf à la série. Que ce soit François Levantal excellent dans le personnage de Capito, bras droit un peu servile du sénateur Sallustius (Patrick Chesnais), qui a dû faire fantasmer plus d'une femme lors des séances au sudatorium, ou bien Pierre Mondy dans le personnage de l'empereur intemporel, excédé par le luxe inhérent à sa fonction. Même Manu Payet, sur lequel j'avais des réserves fait partie des excellents nouveaux personnages comiques, même si son rôle fait un peu doublon avec celui de Vénec (Loïc Varraut).

Côté breton, la transformation physique est souvent très drôle, et parfois très impressionnante, comme celle de Lionnel Astier qui incarne un Léodagan jeune qui doit subir les mêmes réflexions de la part de son père que celles qu'il fera subir à Arthur plus tard. Et Alexandre Astier parvient même à en rajouter à l'humour Kaamelott de départ, avec l'hilarant Jackie Berroyer dans le rôle du père de Perceval, ou Marthe Villalonga pour la grand-mère. Les séances de réunion des rois sont toujours très drôles, les grands seigneurs bretons ne songeant la plupart du temps qu'à manger. Et c'est une occasion de se délecter des répliques de François Rollin, égal à lui-même dans son rôle de Loth d'Orcanie. De même pour l'épisode ou Arthur arrive en Bretagne, qui regorge de références aux livres précédents, toujours à mourir de rire (j'ai une préférence particulière pour le "discours" des paysans). D'ailleurs Alexandre Astier utilise pas mal d'auto-référence, ce qui ne fonctionne pas toujours, comme le garde romain qui sort les même répliques que Perceval. On se sent un peu floué par ces clins d'oeil qui ressemblent plus à un manque d'inspiration. Et en vrac, les costumes sont une de fois plus magnifiques, tandis que les décors, qui demandaient beaucoup de moyens, remplissent leur rôle. On n'est pas particulièrement impressionné, mais ça reste crédible.


On doit cependant apporter un peu de nuances à ce tableau qui amènerait à penser que je considère ce livre VI comme le meilleur de toute la série. Non, il faut dire la vérité, ce n'est pas le meilleur de la série. Pas pour les raisons convoquées par les « fans de la première heure » que j'évoquais précédemment cependant. La rupture de ton ne m'a pas dérangée sur le principe, cependant il faut avouer qu'Alexandre Astier semble un peu moins à l'aise avec les passages plus dramatiques. Il s'en sort plutôt bien, c'est sûr, mais on ne ressent pas le même talent que lorsqu'il s'agit de faire de la comédie. Petit aparté personnel: je trouve que la rapidité avec laquelle les gens se déplacent et communiquent dans la série fait abstraction des possibilités techniques de l'époque, et ceci ajouté à quelques incohérences historiques m'ont parfois fait grincer des dents. Plus le sujet devient sérieux, plus l'on dévient exigeant, c'est normal.  La musique ne m'a également pas tellement convaincue. Certaines variations sur le thème restent tout à fait  efficaces, mais ni une partie du générique qui semble pompée sur celui de Desperate Housewives, ni les passages piano/batterie "smooth" ne m'ont marqué. Enfin, le tout dernier épisode n'a pas fini d'en finir, et j'ai été un peu déçu. Arthur mourant pendant une heure, recevant les hommages, et puis cette fin qui annonce que les chevaliers de la table ronde vont entrer en résistance contre Lancelot... C'est un procédé un peu trop utilisé par les scénaristes dans les histoires de sagas pour y adhérer complètement.

Enfin, je ne dois pas perdre de vue mon objectif initial: défendre cette saison trop sous-estimée à mon goût. Alexandre Astier montre ici qu'il ne se soucie guère des volontés de son public, et grand bien lui fasse. Il disait en interview que le plus beau compliment qu'on lui ait fait était de dire que le livre V était le meilleur, car c'était le plus risqué. Alexandre Astier aime se mettre en danger, et son talent lui permet de se renouveler sans pour autant perdre en qualité. Monsieur Astier, je pense que le livre V est le meilleur, mais vous pouvez être fier de votre livre VI, car c'est quelque chose que peu de monde aurait osé faire, et que peu de monde aurait su réussir.






Et comme j'ai envie de tout donner aujourd'hui, voici un petit extrait d'une interview d'Alexandre Astier, intéressante comme toujours, et qui soutient bien mon propos. Et puis deux vidéos aussi, pour donner envie.

Vous n'avez pas eu peur que cela déstabilise le spectateur ?

Si…enfin non je n'ai pas peur mais je sais que ça a perturbé. [...] Je n'exploite pas ce que j'ai déjà fait, c'est pas mon genre. J'arrive pas à faire ça, un truc qui a marché, réitérer une recette sans arrêt… j'ai besoin de me surprendre moi-même. [...] Mais je m'en fous en fait ! Je m'en fous parce que je ne suis pas là pour qu'on m'aime à tout prix. Je suis là pour raconter ce que j'ai à raconter et d'ailleurs c'est à ce titre que les gens ont continué de me suivre. Ils savent que je suis mon chemin et que je cherche pas à leur plaire à tout prix. [...] La plupart des gens voudraient que jamais rien ne change. Que la deux soit comme la un, comme ce qu'ils ont aimé au départ, ils veulent la même chose… C'est pas mon métier de faire ça. Mon métier c'est que ça change, au contraire. 



Commentaires

  1. Alors oui, et en même temps non.

    Oui, tu as raison de dire que ce Livre VI a été injustement massacré par les fans, la critique, tout le monde... alors qu'il est objectivement très réussi, malgré (tu as raison aussi) quelques faiblesses dans la dramaturgie.

    Non, tu as tort de mettre ça uniquement sur le compte d'une forme de purisme, de déstabilisation, etc. Il y a une part de trahison dans ce livre, non pas à cause de son contenu, mais à cause du fait qu'il devait y en avoir un dernier et qu'Astier a préféré le squizzer pour passer directement à Kaamelott le film (sortie éternellement repoussée aux calendes grecques), laissant tout le monde sur sa fin/faim. S'il avait été ce qu'il était prévu pour être, à savoir un livre intermédiaire avant la grande bataille finale, je pense sincèrement que tout le monde aurait marché et que les critiques auraient été bien plus mesurées. Mais Astier a préféré condamner la meilleure série française de tous les temps à ne pas avoir de fin et à se terminer qui plus est sur une saison où l'on ne voit quasiment jamais ses héros ; je pense que c'est surtout cela qu'on a eu du mal à lui pardonner.

    RépondreSupprimer
  2. Tu as sans doute raison, et c'est vrai que ç'aurait été mieux comme ça. Le dernier épisode aurait mérité d'être développé sur plusieurs... Mais j'arrive un peu après la bataille, et je n'étais pas trop au courant des projets initiaux d'Astier.
    Mais encore une fois, c'est un point qui n'a pas été beaucoup soulevé par les fans, ce qui m'aurait conduit à plus d'indulgence envers eux. J'attends les films avec impatience, et j'espère que ça ne tardera pas, parce qu'une trilogie ça se fait pas en 3 jours...

    RépondreSupprimer
  3. -----> "Le dernier épisode aurait mérité d'être développé sur plusieurs... "

    C'est peu de le dire. La dernière scène est probablement la plus ridicule de toute la série !

    Sinon le film, a priori l'année prochaine. Ce qui fait déjà un bail pour ceux qui ont vu la dernière saison à la télé...

    RépondreSupprimer
  4. Perso, je n'ai pas la télévision, donc je regarde tout sur DVD et j'ai donc connu la "série" après vous : je ne pense pas avoir été "trahie" parce que la suite du livre VI sera un film, un vrai film !! Pour moi, ça ne change rien : je le verrai en DVD comme une suite (que j'attends avec impatience) au dernier épisode du livre VI.
    Tout cela pour dire que votre sentiment de frustration et de trahison, vient peut-être du média sur lequel vous avez connu Kaamelott.
    Imaginez Kaamelott uniquement sur DVD (comme moi) et vous n'avez plus qu'une hâte, c'est la sortie du format film.
    Il est clair que pour vous le format "série" télévisée est rompu. Mais pas pour moi.
    Par ailleurs, je me considère comme "fan" de Kaamelott et pourtant je ne reste pas scotché sur le format ultra court : cette évolution est une très bonne chose car tout prend de l'ampleur et de la profondeur.
    Seul bémol : le dernier chapître (Arthur sur son lit de.... presque mort) et, non pas la dernière scène en elle-même, mais la dernière phrase qui s'affiche : "... sera de nouveau un héros". Bof.... Il aurait mieux valu : "sera bientôt de retour"... c'était moins crétin.

    RépondreSupprimer

Enregistrer un commentaire