Nicolas Jaar - Space is Only Noise
Je ne vais pas être très original en comparant Nicolas Jaar à James Blake. Mais il faut dire que les raisons ne manquent pas. Comme James Blake, Nicolas Jaar est un jeune (21 ans) musicien électronique qui a secoué les amateurs de house l'an dernier avec l'EP Time for Us, porté par un titre éponyme au groove imparable. Et, hasard du calendrier, c'est à une semaine d'intervalle que les deux espoirs de la musique electronique décident de faire leurs preuves sur toute la longueur d'un album. Et, histoire de pousser la comparaison encore plus loin, les deux décident de renier en partie leurs origines dès ce moment là. En bref, on caresse la critique dans le sens du poil en faisant des EP qui démontrent un certain talent à produire des morceaux dans un genre bien défini. Et une fois qu'on a bien buzzé, on fait ce qu'on veut, et merde à ceux qui seront frustrés. Nicolas Jaar fait de la deep house, c'est-à-dire le genre de house ralentie et plus portée sur le groove, avec des sons qui se rapprochent parfois du jazz. En ce qui concerne notre invité, c'est surtout l'ethio-jazz de Mulatu Astatke qui lui plait. Bref, une carte de visite intéressante qui ne demandait qu'à être développée à plus grande échelle.
Et c'est là que provient la première déception pour moi. J'attendais un album gavé jusqu'à ras bord du talent de Nicolas Jaar, et au final le jeune homme me laisse un peu sur ma fin. Il aime bien mettre les choses en places, avec des samples de paroles en français (Godard semble t-il) et autres. A première vue, ça ressemble un peu au cliché du mec qui étudie les « arts et lettres » et qui a encore du mal à se détacher de toute la bonne culture qu'il a récemment acquise. Un brin prétentieux en gros, et j'ai vite pensé que Nicolas Jaar serait à la house ce que Xavier Dolan était au cinéma. Et le problème c'est qu'il balance ses petits samples, bon, et puis quelques trucs ici et là, mais jamais développés. Un beat, un voix, mais rien de plus. Mettre les formes, je veux bien, mais ça dure un peu trop longtemps à mon goût.
Il faut attendre le quatrième titre « Too Many Kids Finding Rain in the Dust » avant d'avoir enfin l'impression d'écouter un vrai morceau qui tient en lui-même, et qui ne sert pas juste à décorer. Et c'est là qu'on se rend compte que Nicolas Jaar ne fait plus comme avant. Il crée toujours cette sensation de groove latent, qui reste au bord d'exploser, mais sans faire de la house pure. On ne peut pas danser là dessus. Mais ce n'est pas ça qui est décevant dans Space is Only Noise. C'est surtout que l'album est composé pour une bonne partie de titres anecdotiques, de petites fioritures qui agrémentent l'ensemble. Comme si Nicolas Jaar n'avait composé que quelques morceaux, et profité de la place restante pour créer une atmosphère ou une identité sonore à l'ensemble. On aperçoit quelque chose d'intéressant et puis on le perd aussitôt de vue.
Nicolas Jaar n'exploite son talent que quand il lui prend l'envie. Mais quand on voit ce qu'il peut faire dans ces cas là, on lui pardonne aisément ses fantaisies. Tout le cœur de l'album est composé de quelques morceaux qui à eux seuls valent le détour, et même plus que ça. « Keep Me There » d'abord, sans doute le morceau qui synthétise tout ce que sait faire Nicolas Jaar. Des voix retravaillées qui lancent un groove accrocheur, repris par un beat irrésistible. Des sons jazz qui atteignent leur sommet avec le son de canard à la Stromae qui survient après une petite pause samples de dialogues. Bref, le truc génial, qu'on a pas mal attendu, mais ça valait le détour. Après cela, les morceaux se décoincent un peu. Avec « I Got a Woman » et ses samples souls, « Problems with the Sun » qui arrive à sortir un petit groove avec juste un beat et une voix, ou « Space is Only Noise if You Can See » et sa mélodie bien electro. Bref, en quelques morceaux, Nicolas Jaar donne tout ce qu'il a, et le reste semble bien inutile. (n'oublions pas le très bon « Variations » tout de même).
Au final je donne quand même l'avantage à Nicolas Jaar face à James Blake. Car là où le second a dû s'éloigner du dubstep pour se créer une identité sonore, le premier reste dans la deep house qu'il renouvelle de l'intérieur. Nicolas Jaar semble donc bien plus prometteur que son homologue anglais, car il ne pêche pas tant par les défauts de ses choix musicaux que par cette façon de ne laisser qu'entrevoir toutes ses possibilités. Moins de prises de risques, c'est certain, mais au final un album moins casse-gueule qui tient ses promesses, ou plutôt qui nous en promet d'autres, qu'on espère vraiment abouties.
A lire également sur Des chibres et des lettres, et Chroniques Electroniques.
Parfaitement d'accord !
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