Danielson - Best of Gloucester County
Qu'est ce que la spontanéité ? Pour Nietzsche, c'est une illusion qui masque le travail amenant à l'œuvre d'art, faisant de l'artiste un génie, alors qu'il n'est qu'un artisan laborieux. Pour moi, un concept ineffable et très pratique qui s'applique aux disques qui sont très séduisants sans être très originaux. Je ne devrais pas vendre mes ficelles comme ça, aussi nulles soient-elles, mais bon, on se connait maintenant, alors c'est pas bien grave. Je vous parle de ça parce que j'ai très vite compris que j'allais vous sortir de la spontanéité à toutes les sauces pour ce nouvel album de Danielson. Venant du New Jersey, Danielson est de ces groupes où tout repose sur un leader, en l'occurence Daniel Smith, autour duquel gravitent de nombreux artistes qui forment la « Danielson Family ». Particulièrement actifs dans les 90's, Daniel Smith et sa bande se sont fait plus discrets ces dernières années (avec un album né de collaborations prestigieuses en 2006 tout de même), avant de revenir cette année aussi frais qu'aux premiers jours.
L'album s'intitule Best of Gloucester County, et devient rapidement addictif. Pour la voix de Daniel Smith, oscillant toujours entre des registres très aigus et un chant désinvolte comme savent le faire les chanteurs indie américain. « Complimentary Dismemberment Insurance » donne le ton de tout l'album. Un chanteur tout seul avec sa guitare, et un « collectif » autour qui habillent la chanson de tous les instruments possibles. S'ensuit donc toute une flopée de chansons de pop folk foutraque, où tout le monde donne tout ce qu'il a pour intégrer l'auditeur dans l'ambiance profondément enthousiaste de l'album. Enthousiasme, encore un concept incontournable pour ce genre de disque. Il faut dire qu'avec ces pianos, guitares et choeurs qui explosent dans des refrains qui semblent éternels, il y a de quoi se sentir transporté.
En creusant un peu, on peut tout de même trouver quelques unes des clés de cet album. Certainement, il y a ce rythme sautillant menés par le piano et la guitare qui met directement de bonne humeur, comme l'excellent « Lil Norge » ou un bonne partie du tout aussi fameux « But I Don't Wanna Sing About Guitars ». Danielson parvient à donner une grande simplicité à des chansons aux arrangements pourtant complexes, et aux mélodies pas si évidentes que ça. En témoigne le gros morceau de l'album, les cinq minutes d'« Olympic Portions » qui joue à l'ascenseur avec notre coeur pour enfin s'asseoir dessus, doucement. Sans en avoir l'air, tout ce petit monde bouleverse les codes de la pop, ou plutôt s'amuse à les malmener tout en leur montrant un certain respect.
Et franchement, face à un tel exploit, qu'invoquer de plus que la spontanéité ? Car il faut le dire, aussi fraîches et inventives que soient les chansons de Danielson, elles ne sont pas très originales, car on a déjà entendu ce genre de pop ailleurs. Mais c'est la spontanéité, le fait qu'on a l'impression que les musiciens se sont réunis et improvisent en temps réel, qui donne à l'album tout son charme. Ce genre de choses qui donnent à l'album une cohérence incroyable, au-delà d'une vraie diversité musicale. Et puis, il y a des choses qui ne trompent pas: le tout début de « This Day is a Loaf » ressemble à s'y méprendre à du Neutral Milk Hotel, si c'est pas une marque de spontanéité intemporelle ça. Et je ne parle pas de « Denominator Bluise » que je jurerais avoir déjà entendue, pas dans le sens « Oh ça sonne déjà-vu », mais plutôt dans le sens où ça réveille des connexions endormies dans notre esprit, qui provoque un sentiment de bien-être irrésistible.
Qu'est ce que la spontanéité alors ? Sans doute Nietzsche avait-il raison, mais sans doute aussi que Nietzsche n'était qu'un rabat-joie avec une grosse moustache, alors je préfère dire que la spontanéité, c'est la pop gentiment bordélique de Danielson. Sûrement qu'ils ont bossé leur truc, mais toujours est-il qu'en les écoutant on vit le moment en train de se produire, et que c'est proprement fascinant. Danielson n'invente rien, mais peu de groupes savent produire cet effet là, et c'est pourquoi, spontanément, j'ai envie de dire que Best of Gloucester County est un des must-listen de ce début d'année.
A lire également sur Brainfeeders & Mindfuckers, qui a eu l'idée brillante de comparer Danielson au collectif Elephant 6, ce qui fut très difficile à contourner.
Si vous aimez Nietzsche et que vous trouvez que je caricature sa philosophie, vous pouvez laisser des insultes dans les commentaires, ou citer Wittgenstein, ça me remplirait de joie.
C'est drôle que tu parles de Nietzsche quand on sait que Danielson est très religieux et spirituel. :)
RépondreSupprimerOui je me suis aperçu de ça après ! On a qu'à dire que ça renforce l'idée de deux philosophies différentes: Nietzsche et son artiste laborieux à la spontanéité illusoire, et Danielson, toujours "inspiré" d'une spontanéité indéniable.
RépondreSupprimerMais je m'arrête là, parce que si on m'embarque là dedans je ne saurais pas répondre... :)
J'adore la définition de Nietzsche et si j'étais mauvaise langue je dirais qu'elle s'applique à Danielson. Mais oui le thème de la spontanéité était une super idée.
RépondreSupprimerLa critique de Nathan sera d'ailleurs sur Playlist dès que l'album sera dans les bacs :)