I got some bad ideas in my head

Cet article a été rédigé en juin 2010.

Il arrive que notre cerveau fasse des rapprochements assez inattendus, qu'on conçoit sans peine, mais qu'il est plus difficile à expliquer. Il en est un qui m'est apparu clair comme de l'eau de roche l'autre jour, et que je vais tenter de vous partager. Il concerne deux réalisateurs qui ne manquent pas de points communs, si ce n'est que j'en préfère un à l'autre, j'ai nommé Martin Scorsese et David Fincher, avec Taxi Driver et Fight Club.

Commençons par le commencement: pourquoi ces deux films ? C'est simple, pour moi ils traitent du même sujet. Dans les deux cas, on a un loser, un mec complètement paumé dans sa vie, assez misanthrope, qui cherche à s'échapper de l'enfermement que lui fait ressentir la société qui l'entoure. C'est le principal rapprochement qui est à faire, après on a des similitudes comme le rapport au moyen de transport, à la violence, à l'estime de soi, etc... En ce qui concerne la forme, David Fincher adore les décors de ruines urbaines, de villes moroses et sordide, ce qu'il porte à son paroxysme dans Se7en. A sa façon, Martin Scorsese témoigne d'une certaine affection pour cela également.

Et c'est dans ces similitudes que la comparaison est très intéressante, car les deux réalisateurs ont livré deux films traitant un sujet similaire dans un univers qui présente de nombreux points communs, mais pas du tout de la même façon. Il va de soi que je préfère une des deux façons à l'autre, et que cette différence est moi assez symptomatique d'une certaine évolution du cinéma, sans vouloir paraître réactionnaire.


 Le misanthropisme de Travis Bickle est dû à une certaine vision qu'il a de New-York. En effet, il décide de faire chauffeur de taxi de nuit pour pallier à ses insomnies, et il ne voit dans la nuit que violence, drogue et luxure. Marqué par le Vietnam, il en veut à tout le monde, et tente de soigner son sentiment de rejet en se forgeant une identité de personne assurée, capable du pire. De son côté, le narrateur de Fight Club nage en pleine société de consommation, ce dont il est conscient. Egalement insomniaque, il utilise les groupes de soutien comme catharsis de son mal-être, puis crée lui-même un groupe de combat, toujours dans le même but. Les deux personnages traversent une période de troubles identitaires dont ils prennent petit à petit conscience en étant allé trop loin après s'être auto-convaincus qu'il fallait remédier à leur situation.

Je pourrais me contenter de cela, dire que les films se ressemblent, que quand même c'est drôle, mais non, ce serait pas intéressant. Parce que Fincher provoque chez moi une telle perplexité que je me dois d'en parler. En traitant du même sujet que Scorsese 20 ans après, il arrive à commettre des erreurs grossières. Fight Club manque cruellement de finesse par rapport à son prédécesseur. Déjà, la présence du narrateur qui nous parle de sa voix morne durant tout le film apporte une lisibilité rès importante au film car il s'adresse au spectateur, alors que Travis Bickle se parle à lui même. L'histoire nous est contée, les choses sont expliquées, avec des formules pseudo-subversives en plus, accumulant les noms de marques comme pour plonger le spectateur dans la société de consommation du film, si c'était nécessaire.

Mais c'est surtout dans l'introspection du personnage que Fincher est le plus grossier. Là où Scorsese adopte des plans qui nous mettent dans la peau de Travis tout en nous laissant la charge d'essayer de comprendre ce qu'il fait, ce qu'il pense, Fincher fait carrément intervenir un personnage qui incarne le penchant noir du narrateur. Excessivement cool, voire même cliché (et vas-y que je fume comme pompier, que je jette mes déchets par terre, que j'ai des lunettes que personne oserait porter). Tyler Durden tient explicitement le discours que le narrateur n'arrivait pas à exprimer, et c'est sans aucun effort que celui-ci bascule et tombe en admiration devant cet homme. La concrétisation de la dualité des personnalités dûes à la schyzophrénie tue toute subtilité quant au doute du spectateur sur les pensées du personnage. Et cette manière de faire possède un autre inconvénient, c'est que le spectateur voit ce personnage très sympathique tenir un discours ultra-cliché sur la société de consommation «  Ce que tu possèdes finit par te posséder », qui paraît donc être valorisé, alors que le discours de Travis Bickle, voulant donner un coup de balai aux rues de New-York, sonne plus comme la réaction pathétique d'un homme désoeuvré. 


 Fight Club s'enfonce trop dans son discours révolutionnaire, il va trop loin, et ce jusqu'au-boutisme finit par dégouter le spectateur de tout intérêt sur la psychologie du personnage. La « passade » troublée du personnage est bien trop poussée pour qu'on perçoive encore son ambiguité, ses raisons et pour qu'on y croie encore. C'est vrai quoi, un mec qui va tuer des malfrats dans un accès de rage, ça passe, mais un mec qui a monté tout un réseau terroriste de révolutionnaires visant à péter les immeubles de la finance, ça commence à aller trop loin. Enfin, le final des deux films montre encore bien leur différence d'habileté. Fight Club montre à demi-mot que le narrateur prend conscience qu'il a fait une sorte de crise d'adolescence, et sa rédemption est complète sur plan de happy-end-main-dans-la-main, alors que Taxi Driver montre Travis qui est devenu un héros, enfin intégré et reconnu, mais le dernier plan laisse planer une ambiguité sur ce happy-end, et semble montrer que la rédemption n'est pas totale.

Dernier point, plus personnel, je trouve que les délires puérils de Tyler Durden, et le tour fasciste que prend son organisation portent à accentuer la grossièreté de Fight Club et atténuent la puissance qu'il a sur le spectateur, là où le sursaut anarchiste de Travis Bickle effraie, car il paraît être à la portée de n'importe qui. Pour faire simple et court, David Fincher représente bien ce cinéma tape-à-l'oeil qui veut paraître éminemment subversif tout en prenant le spectateur par la main. Taxi Driver a selon moi gardé bien plus de puissance que son successeur. Et puis je préfère de loin la caméra douce de Scorsese aux trips high-tech de Fincher, mais c'est une autre histoire.

Et je terminerais sur une citation de Diderot, qui expliquait la différence entre un bon et un mauvais tableau représentant des femmes nues, qui caractérise exactement le propos que je viens de tenir: « Je veux bien voir des fesses et des tétons, mais je ne veux pas qu'on me les montre! »


PS: Cet article n'est pas une diatribe visant à monter Scorsese contre Fincher, le premier n'ayant pas fait que des bons films, et le second ayant gagné en maturité depuis Fight Club (parait-il). De même, je ne nie pas complètement la qualité de Fight Club, qui offre de nombreuses pistes de réflexions intéressantes malgré ses nombreux défauts. On peut très bien écrire de bonnes thèses sur des mauvais films. Et je n'ai pas lu le livre de Chuck Palahniuk.

Cet article est dédicacé à Nathan et Benjamin. ;D

Commentaires

  1. Ah ah merci pour la dédicace. Dès que j'ai trois heures devant moi, je contre-argumente (même si tout se tient bien ici^^).

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  2. Si Fincher avait fait un bon film, ça se saurait hein. :)

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  3. Bonne comparaison qui me rappelle en plus que j'ai acquis il y a quelques mois quelques DVD dont "Fight Club" fait partie ... et toujours pas vus, pas bien, non ? (on a tous de ces lacunes).
    En plus, je veux pas ouvrir une polémique, mais l'oeuvre de Tonton Martin me semmble sinon surestimée, du moins sur-valorisée : "Taxi Driver" revu il y a quelque année, malgré son caractère mythique, en fait un poil partie. En fait Scorsese pour moi est un bon auteur mais pas un génie de la mise en scène (à l'exception de Casino).
    Ses films récents, pur produits hollywoodiens sans pilote à bord me laissent froid et j'ai pas aimé DU TOUT le supra-lourd Shutter Island (il ne sait pas faire de vrais thrillers).

    En tout cas, ça m'intéresse moins que certains films de la génération d'après dont certains (James Gray en tête qui lui a emprunté pas mal de ses thématiques, mais aussi Nolan, Mann ET Fincher inclus) proposent de bons mix réussis entre les exigences commerciales des studios et leur propre style & univers d'auteur.
    Et, cher Nathan, Fincher PEUT aussi être un auteur, voir l'excellent "Zodiac".
    Bon, je ne voulais pas tchatcher autant, désolé, mais quand je commence... À plus :-)

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  4. A vrai dire je suis plutôt d'accord avec toi en ce qui concerne Scorsese. Il y a quelques films de lui que j'aime bien (principalement dans les 80's, et Casino), quelques uns que je considère comme des chefs d'oeuvre (Taxi Driver, même s'il a mal vieilli c'est vrai), mais comme tu le dis, ses films récents ne font plus de lui un réalisateur d'exception, juste un bon parmi d'autres.

    De toute façon, chaque réalisateur à sa période de grâce, où il trouve le bon sujet au bon moment avec les bons acteurs, et forcément d'autres lui passent devant par la suite. Malheureusement, les réalisateurs les plus côtés (Nolan, Mann, Fincher...) ne me font pas le même effet qu'un Scorsese en pleine forme.

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  5. Scorcese a surtout eu le génie de faire Raging Bull. Son unique chef-d'oeuvre selon moi. Taxi Driver est bien aussi. Le reste, j'aime pas en général. Beurk les couleurs de Casino.

    Et oui, de De Palma à Mann en passant par Fincher, l'influence de Scorcese saute aux yeux. Et c'est un peu dommage. Du coup, je n'aime ni De Palma, ni Mann, et j’exècre Fincher. Parce que j'ai l'impression de regarder du sous-Scorcese. :)

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