West Side Story
Comme le disait la désormais célèbre
Rebecca Black dans son tube planétaire : « Gettin' down
on Friday / Everybody's lookin' forward to the weekend / Partyin',
partyin' (Yeah) / Partyin', partyin' (Yeah) / Fun, fun, fun, fun ».
Il est donc normal qu'en ce jour je m'intéresse à quelque chose de
fun. Car, à force de lire, d'écouter et même d'écrire des choses
de plus en plus sérieuses sur des sujets parfois très futiles, on a
tendance à oublier que le fun, la désinvolture, l'absence de
réflexion est quelque chose qui existe et, il faut le dire, qu'on
aime plutôt beaucoup. Pourtant, combien de choses funs nous tombent
dessus chaque année ? Hm ? Assez peu à vrai dire, les
rares parvenant à passer entre les mailles du filet finissant
irrémédiablement par tomber dans l'un ou l'autre des grands
conteners de la pensée : l'amusant qu'on regarde de haut et le
drôle mais plutôt subtil quand on s'y intéresse un peu. Las, on
voudrait voir le fun être au dessus de tout ça, tel le Parnasse,
mais avouez qu'on ne rigolerait plus beaucoup.
-Comment être fun en musique ?
L'ironie est bien souvent fatigante et peine à déguiser un mauvais
goût mal assumé, et l'humour ne conduit que rarement au fun :
prenez « Talkin' World War III Blues » de Bob Dylan, on
rigole mais on ne s'amuse pas vraiment. Non, je vous le dis, le fun
passe par le refus d'être sérieux, et non par le recul savamment
calculé de quelques hipsters ici et là.
-La seconde question est donc : où
trouver le fun en musique ? Et bien voyez vous c'est très
simple, vous prenez l'endroit où on trouve la plus grande
concentration de groupes prétentieux : New-York(1).
Tracez une ligne diagonale jusqu'à tomber sur l'endroit le plus
éloigné de New-York aux Etats-Unis : ce n'est pas Seattle, il
y fait trop froid. C'est Los Angeles. Bienvenue dans la capitale du
fun, berceau du surf rock, du skate punk et de la pop niaise. Sans
aucune surprise, le premier groupe fun de ce début d'année 2013
exerce son talent quelque part entre les deux premiers genres
précités.
« I drink cheap beer, so what ?
Fuck you. » C'est ainsi que se présente Fidlar(2).
J'avais bien dit qu'on serait désinvolte aujourd'hui. Loosey-goosey.
Fidlar c'est simple, c'est le genre de groupe que tu vas voir au
Mondo Bizarro un mercr... un vendredi soir (évidemment). Tu prends
ce foutu bus parce que t'habites bien trop loin pour y aller
autrement, et t'as pas de voiture. Trop sérieux la voiture. Comme
toujours tu arrives trop en avance, donc tu poireautes à siffler des
demis et à te cramer les poumons en attendant tes potes. Tu jettes
un œil aux albums en vente dans l'entrée, pochette crétine avec la
faucheuse qui fait du surf, tu sais que t'es au bon endroit. Déjà
bien attaqué quand le concert commence, Fidlar met exactement 13
secondes avant de te faire sourire : un riff façon Trashmen et
des paroles stupides, tu es conquis et tu bouges comme un débile en
renversant la moitié de ton verre – la demi-douzaine de gars
encore plus allumés que toi devant la scène n'aidant pas non plus.
Une minute et demie, ce putain de chorus totalement surf t'emporte,
et pendant une heure tu go with the flow.
De toute façon tout est accrocheur
dans cette musique, des riffs introductifs aux refrains où tout le
monde braille en cœur. Malins, les gars ont même un single (« No
Waves ») où on tape des mains en ayant l'impression de
participer au truc. « Why did you go betray me? / You’re such
a whore. / I stay at home drinking / You’re such a whore » et
toute l'assemblée insulte mentalement ses ex en noyant n'importe
quelle pensée vaguement submersible sous des litres de bières et un
déluge de décibels. 00H27 à ta montre, le dernier bus passe dans
quelques minutes. Tu avales ce qui reste de ta cinquième pinte en
vitesse, et tu quittes précipitamment le bar accompagné par les
dernières notes de « Cocaine » et son riff probablement
piqué aux Black Angels. S'il y a un rappel tu ne le verras pas, mais
à vrai dire tu t'en fous parce que tu as déjà oublié ce que tu as
entendu. Quelques airs se mélangent dans ta tête pendant que tu
somnoles, accroché à un poteau dans le bus. Tu te souviens plus
très bien de ce qui t'as plu dans ce concert, mais tu retourneras
les voir sans hésitation.
Fidlar - Fidlar (Wichita, 2013)
Fidlar - Fidlar (Wichita, 2013)
Dans un autre registre, le label Jagjaguwar – plutôt tourné indie rock, et pas du tout californien – nous a sorti une belle trouvaille en ce début d'année avec Foxygen, duo extrêmement sympathique formé par les jeunes Sam France et Jonathan Rado(3). A la première écoute de We Are the 21st Century Ambassadors of Peace & Magic, on pense à The Kinks Are the Green Village Preservation Society, mais en ce qui me concerne, j'ai surtout pensé au couple de potes le plus attachant de la télévision américaine actuellement : Troy and Abed dans Community et une de leur fameuses chansons. Leur esprit frondeur et totalement tourné vers le fun est d'une similarité troublante, surtout quand on sait que les deux musiciens aiment consacrer tout leur temps à des passions parfois étrange et multiplient les private jokes. Internet regorge d'exemples d'auditeurs décrivant leur plaisir à l'écoute de telle ou telle musique, mais ici c'est avant tout le plaisir des musiciens que l'on entend, ce qui est beaucoup plus rare. Pour autant leur musique n'a rien de masturbatoire, au contraire elle invite l'auditeur à partager l'immense pied que prend le duo à jouer ses chansons.
The
Kinks. The Zombies. The Rolling Stones. David Bowie. Bob Dylan. Iggy
Pop. Vous le comprendrez très vite en écoutant leur album, Foxygen
est une véritable invitation au name-dropping. Le groupe voue
manifestement un profond amour pour la pop, le rock et leurs dérivés
des années 60 et 70, et quand c'est aussi le cas de l'auditeur, on a
réellement l'impression d'être dans une conversation à trois où
chacun surenchérit sur ses amours musicales, sautant d'une chose à
l'autre sans que ça ait de rapport parfois. Les influences de
Foxygen sont totalement assumées et le groupe les utilise de façon
totalement décomplexée. On a parfois le sentiment que les chansons
ont été composées dans un processus à mi chemin entre les
« stratégies obliques » de Brian Eno, l'Oulipo et la
simple envie de s'amuser. Ils l'avouent eux-même, leur écriture
tient du « collage », mais We Are
the 21st Century Ambassadors of Peace & Magic bénéficie
pourtant d'une remarquable cohésion, et d'une identité forte. On
est dans un vrai melting-pot,
et pas dans un salad bowl.
Quand Sam France s'amuse à singer Dylan à la fin de « No
Destruction », ce n'est pas simplement pour dire « Regardez,
j'adore tellement Dylan que je vais l'imiter pour lui rendre
hommage », c'est surtout parce que ce type de chant fait
désormais partie de l'inconscient collectif, et que sa
chanson pourrait vraiment décoller s'il s'en servait à ce moment
précis. C'est l'ambiance qui détermine la composition d'une
chanson, et pas la volonté de placer plusieurs passages « à
la manière de ».
A
partir de là, tout fonctionne. On perçoit toujours des références
plus ou moins explicites, mais c'est systématiquement inattendu, ou
du moins génialement introduit au point qu'on préfère saluer la
brillante idée d'y avoir pensé plutôt que de blâmer le manque
d'inventivité. Effectivement tout ça sonne assez daté, mais quand
on y réfléchit, qui écrivait comme Foxygen à l'époque ? Et
aujourd'hui ? Personne, et c'est sans doute cette remarquable
créativité qui leur donne cet aspect si moderne, et une fraîcheur
authentique que ne peuvent que leur envier leur contemporains :
« Now you think that I don't know but I know you to know quite
well / That I caught you sipping milkshakes in the parlor of the
hotel / There's no need to be an asshole, you're not in Brooklyn
anymore. » Entendre un groupe s'amuser autant à changer sans
cesse sa voix, ses rythmes et ses ambiances c'est un excellent moment
à passer. Du rock « bluesy » qui vrille psychédélique de « On Blue Mountain » au groove ravageur et terriblement kitsch de « Oh Yeah », on est séduit du début à la fin. Rétrograde ? Absolument. N'invente rien ?
Certainement. Foxygen est un des rares groupes à avoir composé un
excellent album sans vouloir faire un chef d'oeuvre. J'irais même
plus loin en disant qu'ils sont à la musique ce que Tarantino est au
cinéma : avant tout beaucoup de plaisir de chaque côté de la
production. Le cinéaste a toujours voulu réaliser des hang out
movies, des films que l'on regarde simplement pour passer du temps
avec les personnages. Foxygen vient de signer un hang out album qu'on
aura envie de revoir souvent cette année.
Foxygen - We Are the 21st Century Ambassadors of Peace and Magic (Jagjaguwar, 2013)
Foxygen - We Are the 21st Century Ambassadors of Peace and Magic (Jagjaguwar, 2013)
« Jonathan Rado : Il est d’ailleurs probable que la majorité des auditeurs n’apprécient pas l’ensemble de l’album. En revanche, et cela n’a rien d’une affirmation égotiste, je pense que les gens qui disent ne pas aimer Foxygen sont des menteurs.
Sam France : Mais qu’est ce que tu racontes ?
Jonathan Rado : Il y a de tout dans notre
musique, donc tout le monde est obligé d’aimer au moins trente
secondes d’une chanson ! Malheureusement, beaucoup de
personnes ne vont pas au delà du single « San Francisco »
et décident de détester le groupe.
Sam France : En même temps, je les comprends. Si
je voyais pour la première fois le clip de San Francisco, je
trouverais ces types ridicules. Les images voulues par le label
créent une ambiance qui n’a rien à voir avec l’album.
Jonathan Rado : C’était aussi ton idée.
Sam France : C’est vrai. Je me suis dit que
cela pouvait devenir le tube d’un groupe de pop à succès. C’était
un mauvais choix. »
Extrait de l'excellente interview réalisée par Bong Magazine.
Edit: Je viens d'apprendre que Jonathan Rado a fait une brève apparition dans la série Community (épisode 103, première scène). Coïncidence ? Je ne pense pas.
Edit: Je viens d'apprendre que Jonathan Rado a fait une brève apparition dans la série Community (épisode 103, première scène). Coïncidence ? Je ne pense pas.
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1Entendons
nous bien, on aime bien la musique un peu prétentieuse, mais pas
aujourd'hui. Aujourd'hui c'est vendredi.
2« Fuck
it, dog, life's a risk ».
3Enfin
deux trouvailles, avec Unknown Mortal Orchestra, dont le deuxième
album -à écouter- bénéficie d'une production moins académique,
mais dont les compositions n'égalent pas le talent et la
surprenante maturité de Foxygen.
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