Celui qui fait son bilan musical de l'année 2016
Ceux qu’on ne sait pas vraiment si on les a écoutés, mais
dont on a aimé causer :

Chacun des trois disques que j’ai choisis ici, pour avoir
apprécié les écouter, m’a systématiquement paru être analysé sous un angle
autre que celui de son contenu. Pour quelques lignes sur le rapport de David
Bowie au jazz, combien sur son rapport à la mort et sur les circonstances de
son enregistrement ? Et sinon, saviez-vous que le fils de Nick Cave était
mort ? Et que Nicolas Jaar était d’origine chilienne ? Je dois avouer
que je suis beaucoup moins l’actualité musicale que je ne le faisais, et que ma
quantité de lecture sur le sujet a donc fortement diminué. Mais je crois que je
n’ai jamais eu autant ce sentiment étrange de ne pas savoir si certains
articles parlent d’une personne, d’un disque, d’un livre ou d'une exposition d'art contemporain. Vous direz que je suis
affreusement réactionnaire et incapable de sortir d’une grille de lecture pré
web 2.0, et vous aurez raison. Mais voilà, j’ai parfois ressenti comme un vide.
Comme l’absence de ce puits de science qui viendrait m’expliquer les influences
musicales qui parcourent Blackstar
plutôt que de me faire la chronique médicale de son auteur. L’absence d’un fan
de toujours qui m’aurait fait comprendre l’évolution des Bad Seeds depuis le
départ de Mick Harvey au lieu de tenter le diagnostic psychologique du leader du
groupe. L’absence du rat de l’underground électronique qui m’aurait convaincu
que Nicolas Jaar n’était pas juste un flambeur sans essayer de lire le disque
comme la résonance de la désastreuse année 2016 sur le plan géopolitique.

Bref, l’absence d’un texte que je n’écrirais pas, car comme
vous le voyez, moi non plus je ne sais plus parler de disques sans chercher à
disséquer de quoi sont-ils le nom.
Ceux dont on sait très bien qu’ils jouent au plus malin,
mais qu’on ne sait pas arrêter :

Mais c’est bien parce que ces chansons concentrent les
défauts de leurs albums respectifs que leurs congénères sont d’autant plus
attirantes. Il y a paradoxalement comme une énigme que l’on tente de résoudre
lorsque l’on est face à des chansons qui font si peu de cas de leurs origines.
De la pure pop aux accents exotiques ? Un hommage appuyé jusqu’au pastiche
de la black music des 70’s ? Voyons, une telle naïveté cache forcément des
intentions plus complexes. Mais après une vingtaine d’écoutes, le mystère reste
entier, on ne trouve rien là-dessous, si ce n’est une poignée de chansons qui
vous restent dans la tête durant des semaines, au point que vous les infligez à
chaque soirée pour vous assurer de ne plus être seul dans votre tourmente.
En musique, l’évidence est une drogue, et celle que dégage
ces deux albums vous donne envie de vous l’enfiler en intraveineuse pour
qu’elle ne vous quitte plus, même si vous êtes conscient qu’il y a mieux à
faire.
Ceux qui étaient là avant d’être publiés et qu’on aimé
aveuglément :
Il faut mettre fin à l’omerta : oui, nous avons des
chouchous. Et par nous, je n’entends pas les professeurs, bien que l’affirmation
se vérifierait également, mais bien les personnes qui prétendent établir une
liste des meilleurs disques de l’année. Oui, tel un coach qui s’obstine à
titulariser des joueurs même s’ils ne sont pas au top de leur forme, certains
sont sur la feuille de match quelque soit le niveau de leurs prestations. Ty
Segall et Thee Oh Sees sont là depuis des années, ils sont cette charnière
centrale à laquelle on ne touche pas parce qu’on sait de quoi elle est capable.

On nous aurait fait écouter les deux disques à l’aveugle qu’on
les aurait peut-être jugés différemment, mais même si aucun des deux n’est ici
aujourd’hui pour la même raison que celle qui leur a donné leurs places d’office,
ils n’en méritent pas moins d’être cités au titre de réussites de l’année.
Ceux qu’on n’attendait pas vraiment, mais qui ont su se
faire une place :
A force de traîner sur les blogs et autres webzines on
croise un nombre infini de noms, qui nous conduisent systématiquement à dire « Oui,
j’en ai entendu parler » dès que quelqu’un nous parle de quelque chose. Et
ce n’est même pas que du snobisme mal placé, on a effectivement entendu parler
de pas mal de monde, mais pourtant on n’a fait l’effort d’en écouter qu’une
poignée. Chaque année, certains passent de la catégorie « Je vois
vaguement ce que c’est et j’ai la flemme de m’y intéresser » à « J’ai
hâte d’écouter leur prochain album », ce qui doit être considéré comme un
petit succès, surtout si l’on envisage que pour certains, dont on parlera plus
tard, la trajectoire est inverse. Pourquoi cette année et pas avant ? Un
bon mot, un lobbying convaincant, un vide à combler, un clic machinal qui ouvre
les portes d’un clip bien monté… les raisons sont infinies, et pour quelques-uns
qui saisissent l’opportunité pour montrer tout ce qu’ils ont, combien sont
retournés dans l’obscurité ?
De Mars Red Sky je savais que c’était un groupe de stoner
français. Mais bien qu’étant plutôt client du genre, je dois avouer que je ne
me rue pas immédiatement sur ce type de sorties. Comme souvent, c’est grâce à
une finesse et à une ouverture inhabituelle que je fus séduit. Cependant, ce n’est
pas tellement l’incursion pop-rock de « Friendly Fire » que je
retiens le plus du formidable Apex III mais bien davantage ses introductions
planantes, ses mélodies enivrantes ou ses excellentes parties chantées… bon,
après c’est un album de stoner hein, si ça fonctionne c’est aussi qu’il y a
quelques bons riffs qui tâchent et qui donnent envie de secouer la tête. C’est précisément
tout ce qu’on veut voir dans un album de ce genre, avec ce petit « je-ne-sais-quoi »
qui donne envie d’y retourner.
De Michel Cloup je savais que c’était un chanteur doté d’une
bonne côte chez mes aînés, en raison de sa participation au groupe Diabologum…
pour lequel je n’ai pas d’affection particulière. A vrai dire pour Michel Cloup
on était plus proche du boycott que du rendez-vous raté, car j’avais vraiment
cette sensation qu’il n’était pas pour moi. Un sentiment qui demeure encore
tant l’attachement tient à peu de choses. Pour un chanteur qui accorde tant d’importance
à ses mots, cela tient du miracle d’avoir réussi à me séduire avec des paroles
pourtant loin d’être ce qui m’attire le plus. Et pourtant, des titres comme « Nous
qui n’arrivons plus à dire nous » sont d’une telle force que mon cynisme s’effondre
rapidement, bien aidé par un travail instrumental qui, pour le coup, se
rapproche de ce que j’aime le plus dans le rock en général. Ce mariage tenant
de l’oxymore dans mon esprit relevait du quitte ou double, et à vrai dire j’ai
l’impression qu’il ne fut aucun des deux, mais juste un album que j’ai aimé d’un
bloc.
De Kevin Morby, je ne savais pas grand-chose à vrai dire.
Mais deux passages à la Route du Rock la même année, ça vous pose un bonhomme.
A grands renforts de promo, le clip de « I Have Been to the Mountain »
s’est frayé un chemin jusqu’à moi, jouant à merveille son rôle de cheval de
Troie. Avouez-le, cette chanson, qui compte parmi les meilleures produites
cette année, n’a pas grand-chose à voir avec le reste de l’album, qui opère un
alliage parfait entre folk vintage et pop indie. Sans tomber dans l’écueil de l’album
qui en fait trop, ni dans celui de l’album où tout se ressemble, Kevin Morby
nous signe un album qui figure parmi les meilleurs du genre depuis quelques
années. Il remplace avantageusement l’absence de Kurt Vile dans la catégorie
précédente cette année et surpasse même de peu les dernières productions de cet
autre fan d’un certain prix Nobel de Littérature dans mon cœur. Morceau de
bravoure de l’album qui porte son nom, « Singing Saw » est une des
nombreuses raisons pour lesquelles Kevin Morby fait une entrée fracassante dans
le cercle fermé des artistes que l’on risque de recroiser régulièrement en ces
pages.
Ceux dont on n’attendait pas forcément beaucoup, mais qui
déçoivent quand même :
A y repenser, Kanye West est un rappeur que j’aime bien. J’ai
beau accumuler les tournures de phrases pour montrer mes réserves sur le
personnage, j’étais plutôt de ceux qui avaient été convaincu par son premier
exercice vraiment mégalo My Beautiful
Dark Twisted Fantasy quand beaucoup marquaient une vraie rupture avec ses
albums précédents, pour lesquels j’ai également de l’affection. Cinq ans plus
tard, Kanye West est une super star méta, les articles qui parlent de lui
parlent plus de « notre ère », des médias et de sa personnalité que
de sa musique, au point où il aurait pu rentrer dans la première catégorie de
cet article si j’avais aimé son disque. Parce qu’il y a peut-être plein de
choses à dire sur le processus de création de cet album, il n’en est pas moins
décousu et pénible à écouter sur la majorité de sa longueur bien trop
importante. Quelques titres ressortent évidemment, certains plus que d’autres
pour avoir été incarnés par Aziz Ansari et Eric Wareheim, mais tout cela donne
le sentiment d’écouter les titres d’une très bonne mixtape qui auraient été
noyés dans un LP. Je t’en prie Kanye, cesse de considérer que tout ce qui te
concerne vaut de l’or et apprend à trier le bon grain de l’ivraie.
Que dire sur Animal Collective ? Groupe phare de la fin
des années 2000, symbole de l’influence de Pitchfork sur le monde de la
musique, on leur prédisait un destin à la Radiohead. Las, entre aventures solos
mitigées et difficile succession de l’extraordinaire Merriweather Post Pavillion, Animal Collective parait désormais
appartenir à un monde révolu. Et ce n’est pas ce dernier album bien fadasse
malgré son côté pop qui va venir nous contredire. Et si c’était ça le destin à la
Radiohead, se faire descendre 7 ans après son chef d’œuvre pour ne pas avoir su
l’égaler ?
« From the Ritz to the rubble » chantait Alex
Turner il y a dix ans pour témoigner de ses déboires à rentrer dans une boîte
de nuit à la mode. « … to the Ritz again » chanterait-il aujourd’hui
après qu’il ait enterré les derniers oripeaux de son image de jeune anglais du
cru pour la tenue de rockstar californienne à la mode. Ça fait déjà quelques
années que Turner passe pour un jeune ayant vieilli trop vite, mais il faut
avouer que cela n’a jamais autant frappé qu’avec le deuxième album des Last
Shadow Puppets. Alors que le premier avait convaincu tout le monde qu’il avait
tout le talent nécessaire pour devenir un songwriter sur lequel compter,
celui-là achève de confirmer qu’il ne sait plus vraiment où il a caché son
intuition géniale. Album bâclé et souvent mal produit, Everything You’ve Come
to Expect compte quelques bons titres qui ont l’effet involontaire de
surprendre, signe que l’on n’y croit plus vraiment. « The long-awaited
second album from the Last Shadow Puppets is a lavish California
confection […] it makes very clear that frontmen Alex Turner and Miles
Kane are sexy men with sexy lives having lots of sexy sex with their
sexy girlfriends. » nous dit Pitchfork. Pas mieux.
Originale de faire un top comme ça. J'approuve à 100% l'idée !
RépondreSupprimerMerci ! La suite arrive, dans un registre plus classique cependant, avec moins de catégories et plus de disques cités.
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