Vite fait bien fait: Stendeck / Robag Wruhme / Enabl.ed

Ça faisait un moment que l'on avait pas parlé de musiques électroniques ici, mais ça ne veut pas dire que les derniers mois ont été pauvres dans le domaine. La preuve par 3 avec mes derniers coups de cœur. Chacun d'eux aurait mérité un article à part entière, mais mon amateurisme en la matière ne me permet pas de disserter aussi longuement sur des disques électroniques, aussi bons soient-ils. Voici donc les 3 d'un coup.

Enabl.ed - Modules Fail

Qu'est ce qu'on aime dans l'IDM ? On aime les claviers venus d'ailleurs, les sons hachés, les beats incompréhensibles, on aime que ça perturbe notre équilibre mental. Et bien on a tout ça dans Modules Fail, le deuxième album de Jimmy Batista, officiant sous le nom d'Enabl.ed. Derrière les mélodies de « odeq2 » viennent se nicher des beats déconstruits, comme des accès de violence contenus. Tout l'album fonctionne sur cette dichotomie, et Modules Fail balance parfois violemment entre le très onirique (« It's a this point, where I get drowsy »), et le très violent comme dans « Melting in Stereo » où tous les sons semblent aller dans la même direction, la destruction. Quoi de mieux que de l'IDM profondément instable pour se faire retourner le cerveau en une demi-heure ? 

Par ailleurs, le choc parfois violent entre les deux facettes du disques accouche d'une atmosphère glauque et peu rassurante. L'unique raison d'être de chacun des visages ne semble être que de contredire l'autre, de la même façon qu'un superhéros ne peut vivre sans son antagoniste et vice-versa. Il y a une tension assortie d'une certaine vanité qui ressort de ce combat incessant, s'exprimant particulièrement dans des titres comme « exit4 » ou « Drowning errors 2.0 ». Pour couronner le tout, Enabl.ed se paye par moments le luxe de dégager un semblant groove de cette lutte, à l'image de l'excellent « Vinc Drae5 ». On pourra simplement regretter que l'expérience soit un peu trop courte, mais Modules Fail est déjà un très bon aperçu du talent de Jimmy Batista lorsqu'il se livre à l'IDM.






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Robag Wruhme - Thora Vukk

J'ai longtemps été réfractaire à la house, mais la dilution croissante du genre dans d'autres pour lesquels j'ai plus d'estime ces dernières années (le dernier album de Four Tet par exemple) a fini par me faire prêter plus d'attention aux dernières sorties remarquées dans le milieu. Je ne pouvais donc pas passer à côté de cet album du producteur allemand Robag Wruhme, qui a reçu des éloges de toutes parts. Thora Vukk est un concentré de deep house d'une qualité exceptionnelle, qui possède une saveur toute particulière. Le genre d'albums qu'on écoute les dimanches de mi-saison, quand il fait bon et qu'on est assis dehors en fin d'après-midi, serein. Thora Vukk est un album dont chaque son est mesuré avec une justesse saisissante. Dès l'arrivée des voix du fabuleux titre introductif « Wupp Dek », Robag Wruhme crée une ambiance paisible qui ne connaitra aucune perturbation. 

Pour autant, l'album n'a rien d'ennuyeux car la patience qui est prise au développement de chaque titre bouleverse toute notion de temps, et Thora Vukk n'est plus au final qu'un moment en suspension, une balade plaisante sans impératifs. En cela il se rapproche parfois du Diamond Mine de King Creosote et Jon Hopkins, à cette différence que les rythmes de Robag Wruhme n'invitent pas tant au vague à l'âme qu'au plaisir simple de profiter d'un instant de repos. Car le producteur n'oublie pas d'être dansant, et au contraire ces deux extrêmes s'interpénètrent parfaitement dans l'album qui acquiert du coup une cohérence remarquable, dont la plus belle incarnation est sans doute « Prognosen Bomm ». Prenez le temps d'écouter Thora Vukk, et vous verrez le monde bouger à un autre rythme pendant un courte parenthèse.






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Stendeck - Scintilla
 
 Qu'est qu'on aime dans l'IDM ? Non, je vais pas vous la refaire. Je me contenterais de dire le Scintilla de Stendeck a tout, en plus long, plus fort, plus grand. Et je pourrais presque m'arrêter là. Mais poursuivons. Le suisse Alessandro Zampieri fait prendre à l'IDM une dimension bien plus grande que ce qu'on a l'habitude d'entendre dans le genre. Il suffit d'écouter les 3 premiers titres pour s'en convaincre, et mesurer l'ampleur du paysage façonné par les sons de Stendeck. Au moment où débarquent les cordes lyriques et le rythme profond de « Catch the Midnight Girl », on a déjà complètement oublié où on était, et on s'imagine embarqué dans une grande épopée aérospatiale aux enjeux cosmiques. Car c'est de ce genre d'ampleur que je veux parler quand j'évoque la musique de Stendeck, pas moins. Scintilla est un album dense, qui assume totalement sa démesure et se donne les moyens d'aller au-delà de l'horizon d'attente sans cesse repoussé de l'auditeur, les deux derniers titres en sont la preuve implacable.

Il y a des BO dont on peine à discerner l'histoire qu'elles racontent, mais Scintilla fait partie de ces albums si cohérent et si aboutis, aux sons si évocateurs qu'on l'imagine sans efforts. On ferme les yeux et on verrait presque se jouer devant nous un grand film hollywoodien qui ressemblerait à un mélange entre 2001, l'Odyssée de l'espace et La nuit du chasseur. Un film énorme, où les rares moments de répit sont l'occasion de plans sublimes avant que la course ne reprenne, comme cet enchaînement entre « Like Snowflakes on my Fingers » et « Run Amok (Against Time Rebels) ». Là où certains musiciens électroniques construisent certains sons juste pour le plaisir d'employer telle ou telle technique, Zampieri paraît complètement débarrassé de ces lubies égocentriques. Scintilla semble se diriger vers quelque chose, on jurerait qu'il y a un but derrière tout ça. Et lorsqu'arrive « Why Did We Get so Far ? » on réalise qu'il n'y a rien derrière tout ça. Scintilla n'est qu'une fuite en avant, et c'est tout. C'est un mouvement spontané, emporté par sa propre inertie alors qu'il ne reste plus rien de la force qui l'a poussé à décoller. Alors on joue le jeu, puisque c'est ainsi. Tout simplement.






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