Back to the future part 3: Chestnuts

     Quand on traîne un peu sur Internet à la recherche des dernières sorties, on tombe le plus souvent sur trois catégories de productions : celles qui font le buzz, venant de groupes à peine connus sur lesquels il faudra s'être fait un avis (cf. deuxième partie de ce bilan) ; celles des groupes qui doivent confirmer, après une séries d'albums qui n'avaient pas connu un grand succès ou au contraire après avoir connu un gros buzz ; enfin, celles des groupes un peu en dehors du circuit, qui sortent des albums avec une régularité surnaturelle, atteignant toujours le seuil des bons albums, ceux qu'on attendait. Leur présence dans les tops de fin d'année est si évidente qu'on oublie parfois de les mentionner, pourtant ce serait leur faire injure que de passer à coté des pierres qu'ils ajoutent patiemment au somptueux édifice que devient leur carrière. Merci à vous de ne jamais décevoir, et à la prochaine. 




      Ayant chacun produit avec leur dernier album un monument qui s'était immédiatement placé dans mon panthéon électronique, Clark et Four Tet étaient attendus au tournant, bien qu'ils ne m'aient jamais déçu. C'est le protégé de Warp qui dégaine en premier avec un Iradelphic dans la continuité de son chef-d'oeuvre précédent. L'Anglais n'a rien perdu de sa virtuosité pour sortir des morceaux qui ne laissent jamais l'auditeur se relever, mais choisit cette fois ci de privilégier l'unité de l'album à la quantité de fulgurances. On a parfois l'impression de se retrouver en face d'un EP amélioré tant il y a de pistes de transitions, mais les sommets de l'album n'en sont que plus impressionnants, et Clark prouve par là qu'il est capable de travailler sur une même ambiance pendant plus d'une chanson. Presser ses idées jusqu'à leur dernières gouttes, voilà quelque chose que Kieran Hebden n'a jamais eu de difficultés à faire. Les premières mesures de Pink nous confirment que son talent est intact, et qu'il sait en tirer le meilleur parti. Jouant de plus en plus sur la répétition, sa musique ne cherche plus simplement à se diriger vers les dance-floors comme le laissait entendre le précédent album, mais vers tout un pan de la musique contemporaine qui s'infiltre sensiblement dans plusieurs pistes de l'album. Son travail sur les percussions semble atteindre un nouveau cap tandis que sa capacité à faire tout un morceau avec trois bouts de mélodies n'a pas pris une ride. Encore une claque de Four Tet, qui pourrait arriver bien plus haut s'il n'y avait quelques petites fautes de goûts surprenantes. 



      Allons maintenant vers des eaux plus noires, voire carrément malfaisantes. On ne présente plus Matt Elliott, artiste schizophrène qui réussit depuis plus de dix ans l'exploit de sortir à la fois des perles électroniques et des recueils folk qui obtiennent systématiquement les faveurs d'un public hétéroclite. C'est ici la personnalité acoustique qui s'offre à nous, d'une manière encore plus éclatante que ce à quoi on s'attendait. Que peut-on bien dire sur The Broken Man ? L'album lui même commence par une longue introduction où la guitare découpe le silence, et le chant n'intervient que pour relancer une chanson qui semblait déjà avoir tout dit. Mais Matt Elliott est plein de ressources, et il continuera de trouver des choses à dire pendant longtemps encore sans doute. Voilà qui est rassurant en quelque sorte, le comble pour un album aussi désespéré. Toujours aussi sombre et toujours aussi difficile à cerner, Liars ont pris des risques en sortant WIXIW, un album qui tend davantage vers du Radiohead post-Kid A que vers le post-punk que revendiquait l'acclamé Sisterworld. Pourtant ce nouvel opus est une vraie réussite, et l'on n'est que moyennement surpris de voir les New-Yorkais maîtriser à ce point leur nouveau sujet. Entre les plaintes d'Angus Andrew et le travail d'ambiance remarquable d'Aaron Hemphill, WIXIW dépeint un huis-clos plein de tension, qui atteint son paroxysme dans l'indécis titre éponyme autour duquel tournent tous les titres de l'album. Avec ce petit bijou de plus, on se demande sérieusement jusqu'où Liars peut poser son empreinte. 



      Après un retour incroyable il y a 2 ans, Swans n'en finit pas de nous montrer qu'il est le groupe le plus créatif de sa génération avec l'énorme The Seer. Rarement l'adjectif monumental n'a été aussi pertinent pour qualifier un album. Double-album dans ce cas précis, qui s'étend sur presque deux heures. Le plus frappant n'est pas tellement la prouesse de produire un tel album, mais bien que le groupe ait réussi à garder une vraie cohérence et à donner la même force à chaque minute de son œuvre. Les mots manquent cruellement pour décrire The Seer, et il serait d'ailleurs un peu présomptueux de vouloir résumer un tel album, alors que je ne l'ai écouté que trois fois de bout en bout, me contentant les autres fois de grappiller des chansons ici et là. Suffisant pour évaluer la grandeur de l'album, mais bien trop peu pour en avoir une idée claire. The Seer dépasse le cadre de la chronologie musicale, et, si l'on sait déjà qu'il est excellent, il faudra attendre encore un peu pour en saisir toute la puissance. Tout l'inverse de Converge en quelque sorte, qui nous balance tout ce qu'il a en pleine poire alors que l'on atteint à peine le quart de All We Love We Leave Behind. L'album ne laisse aucun moment à l'auditeur pour se reprendre, et Converge continue de démontrer qu'il est un des meilleurs groupes de hardcore du circuit sans jamais paraître se répéter pour autant. 



      Dans le même ordre d'idée, les gars de Om ont sorti un cinquième album en sept ans sans faire beaucoup de bruit. Surprenant quand on entend à quel point Advaitic Songs est largement à la hauteur de ses illustres prédécesseurs. Les ex-membres de Sleep continuent de faire du doom alors même qu'ils épurent au maximum leurs titres. Gorgé de références spirituelles venant des quatre coins du monde, on serait tenté de dire que cet album est exotique, s'il n'était pas fondamentalement dans la même veine que les autres. En une poignée de chansons, Om fait le tour du genre qu'il vient d'inventer en atteignant à chaque fois une excellence qui ne surprend plus personne. Tristement oublié des plus grands médias à chaque nouvelle sortie, le groupe mérite pourtant bien mieux que d'être apprécié par une frange restreinte d'amateurs éclairés. 
     2012 est une année paire, c'est donc une année Walkmen. Pour fêter leur 10 ans de carrière, les gars de New-York nous ont offert une belle prestation à la Route du Rock (n'en déplaise aux cyniques) et un album en guise d'amuse-bouche. Chaque nouvelle production du groupe redéfinit les contours de leur musique, tantôt rêche et tantôt douce, parfois simple et d'autres fois plus complexe, mais toujours subtile. Dans la lignée de Lisbon, on retrouve au premier plan la voix d'un Hamilton Leithauser omniprésent, accompagnée principalement par quelques guitares. Heaven ne s'impose pas immédiatement comme un des meilleurs albums du groupe, mais il dégage néanmoins la même atmosphère familière, portée par des chansons toujours aussi paisibles et insaisissables. La menace de la routine pointe alors que les Walkmen n'ont jamais autant ressemblé au backing-band de leur chanteur, mais il faudrait un sérieux dérèglement cosmique pour qu'ils nous sortent un album réellement décevant. Tout va donc pour le mieux dans le meilleur des mondes, au moins pour cette année. 


Presque tous ces albums sont en écoute sur Spotify.

A retenir pour cette année 2012:


Alt-J - An Awesome Wave
Chromatics - Kill for Love
Clark - Iradelphic
Converge - All We Love We Leave Behind
Dinosaur Jr - I Bet on Sky
Bob Dylan - Tempest
Grizzly Bear - Shields
Efterklang - Piramida
Matt Elliott - The Broken Man
Four Tet - Pink
Barna Howard - Barna Howard
JJ Doom - Keys to the Kuffs
Mark Lanegan - Blues Funeral
Lescop - Lescop
Liars - WIXIW 
The Men - Open Your Heart
Meursault - Something for the Weakened
Om - Advaitic Songs
Jon Porras - Black Mesa
Swans - The Seer 

Tame Impala - Lonerism
Thee Oh Sees - Putrifers II
Troy von Balthazar - ...is with the Demon
Ty Segall Band - Slaughterhouse
Ernesto Violin - Bowels
Ernesto Violin - Hooligans Wake
The Walkmen - Heaven
Neil Young - Psychedelic Pill

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