Celui qui termine son bilan musical de l'année 2016



Ceux qui sont de bonnes surprises

C’est dans l’ordre des choses, chaque année on essaye de suivre les groupes qu’on a aimé précédemment, on en perd quelques-uns au passage, mais on en gagne aussi. Qu’ils soient effectivement nouveaux sur le circuit ou juste pour nous, l’effet est au final le même, ils ont amené excitation et fraîcheur, deux choses assez rares il faut bien le dire. Ce sont donc le plus souvent des albums qui s’imposent rapidement et qui dégagent une sympathie mystérieuse. 

Pour Chouette, ce n’est pas difficile : le groupe vient de Rennes et la pochette nous montre deux hommes en train de courir nus dans un pré. Une seule écoute suffit pour être conquis, le blues garage aux accents surf pratiqué par le groupe nous donne immédiatement l’envie de faire des jeux de mots trop faciles « Chouette ? C’est chouette ! » et de retourner dans la capitale bretonne pour les y voir en concert. 

Une petite nostalgie pas tout à fait absente d’un autre album découvert cette année, Deluxe du groupe Omni. Comme tout le monde, je serais probablement passé à côté si on ne m’avait pas dit que le groupe était composé en partie de membres de Deerhunter. Sans qu’on connaisse vraiment l’implication réel dudit membre et la véracité de cette information, ce qui relève d’une facilité d’attaché de presse a très bien fonctionné sur moi puisque l’album a su se faufiler jusqu’à moi pour se révéler en digne héritier de Wire et Television. Un enième avatar du revival post-punk qui aurait pu m’agacer il y a quelques années mais qui m’a fait bien plaisir, autant pour la qualité d’écriture des chansons que pour le genre qu’il incarnait. Dans le même registre, Parquets Courts a signé quelques titres de bonne facture cette année, sans pour autant me convaincre autant. 


Autre représentant d’un genre dont on a été gavés jusqu’à l’écœurement il y a quelques années, King Gizzard and the Lizard Wizard s’est lui aussi distingué par son petit truc en plus, à savoir un album constitué d’un tenant, un bloc aux neuf visages (et infiniment plus) qui se sort très rapidement du terreau psyché-rock dans lequel on aurait tôt fait de l’enterrer. Groupe réputé chez ceux qui n’ont pas encore atteint l’overdose de guitare fuzz à effets, King Gizzard m’est tombé dessus sans crier gare tout en faisant beaucoup de bruit, ce qui n’a pas été pour me déplaire tant je souffre chaque année d’un manque d’albums qui savent faire du bruit (moins en 2016 qu’avant tout de même).

Je ne sais pas si c’est la même chose qui m’a convaincu chez Right Hand Left Hand, peut-être est-ce un peu de mon besoin de bruit et peut-être est-ce aussi que j’ai toujours eu une faiblesse pour les groupes qui mettent autant en avant leurs batteries que leurs guitares (ça marche aussi pour la basse, les claviers ou le violoncelle - je suis un cœur d’artichaut), mais j’ai rapidement compris que ce groupe gallois me suivrait toute l’année. Une certaine finesse dans l’exécution parsemée d’éclats de violence, voilà la recette typiquement post-rock mise en place dans l’album, et finalement ni le manque d’originalité ni l’efficacité ne souffrent de contestation.

 Ceux qu’on retrouve même si c’est plus pareil

A côté de ceux que l’on découvre il y a évidemment ceux que l’on retrouve après quelques années de séparation. Ils ont été tout en haut de nos tops, ils ont même été l’objet de boulimie obsessionnelle pour certains, mais on les a perdus de vue par lassitude, manque d’attention ou simple prise de distance de leur part. Et lorsqu’on les retrouve presque par hasard après toutes ces années, sans avoir ardemment désiré leur retour, il faut bien avouer que les choses ne sont plus tout à fait les mêmes. On a changé, eux aussi, on retrouve en eux les traces d’une période révolue qui peine un peu à retrouver l’éclat de ses beaux jours et on garde une tendresse toute particulière pour eux même si le charme n’est plus vraiment là. 

En premier lieu, citons Hamilton Leithauser, ex-leader des Walkmen, groupe qui aura trusté le haut du classement de mes tops personnels à intervalles réguliers depuis plusieurs années. Le concert auquel j’ai assisté juste avant leur séparation fit office d’une conclusion attendue après plusieurs années à guetter et chérir chacune de leurs sorties, les dernières moins que les autres néanmoins. Je ne me suis donc pas rué sur la collaboration d’Hamilton Leithauser, pas mon membre préféré du groupe, avec Rostam, ex-Vampire Weekend, groupe pour lequel je n’avais pas d’affection particulière. La surprise fut à vrai dire plutôt bonne puisque I Had a Dream that You Were Mine s’est montré très sympathique et bien plus proche des Walkmen que je ne m’y attendais. On retrouve l’écriture patiente au relief élégamment dessiné de Leithauser tout en bénéficiant des talents de producteur de Rostam qui habille chacun des chansons dans un style différent, donnant à l’ensemble un côté patchwork à double tranchant. Trop souvent j’ai eu l’impression d’écouter les Walkmen sans leur son si caractéristique, ce qui m’a donné plus de peine qu’autre chose.


 Il y a trois ans je découvrais The Drones, qui s’était hissé dans mon top 10 de l’année avec un album blindés de guitares qui parvenaient à être mélodieuses tout en paraissant dissonantes. Une ambiance unique que je m’attendais à retrouver dans Feelin Kinda Free, et que j’ai retrouvé en partie d’ailleurs. De nombreux titres laissent penser que The Drones n’a rien perdu de sa capacité à proposer un son radicalement de ses congénères… mais également de lui-même. Une exploration sonore tout à faire cohérente avec l’identité du groupe, mais qui ne produit pas le même effet que la claque reçue lors de la découverte de ce qui reste comme un sommet du genre. Au plaisir des retrouvailles vient donc s’ajouter immédiatement le sentiment que l’histoire est sur le point de se terminer.

Il nous faut désormais nous attaquer aux classiques, car c’est désormais dans cette catégorie que nous devons ranger Radiohead. Classique comme on peut considérer toute la production du groupe entre 1995 et 2001, mais classique aussi comme l’adjectif qui ressort le plus à l’écoute de A Moon Shaped Pool. Retour dans des conditions difficiles tant le groupe a épuisé tout le crédit dont il disposait auprès des critiques avec ses deux albums précédents, contestés un peu partout bien qu’acclamés ici-même. Cette fois ci, la critique a noté à raison que le groupe revenait vers des ambiances proches de ses plus grands succès. Un « back to basics » qui fonctionne souvent, mais qui crispe un petit peu venant d’un groupe qui a toujours tourné le dos à ce genre de démarches. On y trouve donc de bonnes chansons dans un ton d’ensemble juste assez poli pour faire oublier aux critiques qu’elles avaient enterré le groupe quelques années plus tôt. Pour ma part, un retour en grâce que je salue mais que j’aurais préféré plus brutal.


 Tout le monde connait Yann Tiersen, et pour la plupart de ceux-là, il n’y a rien de surprenant dans son dernier album. Pourtant, le virage post-rock pris depuis quelques années avait produit plusieurs albums de grande qualité, et c’est avec une relative déception que je retrouve Tiersen exceller dans un genre qui a fait son succès, mais qui n’est plus celui que je préfère chez lui désormais. Yann est un homme très occupé, et nul doute qu’il nous sortira d’autres choses bien différentes dans les mois et années à venir, en attendant, EUSA nous offre une cure de nostalgie agréable mais qui ralentit encore le retour d’un Tiersen plus aventureux.

Stranded Horse avait conquis tout le monde avec son formidable album Humbling Tides dans lequel il avait arrangé un mariage séduisant entre folk européen et kora malienne. Quelques années plus tard, il revient avec les mêmes intentions, mais cette fois ci plus expérimenté par le temps passé en Afrique. S’ensuit donc un album qui perd de la timidité et de la délicatesse de son prédécesseur, pour gagner en assurance. Un peu comme l’ami que vous retrouvez après quelques années à l’étranger, vous appréciez les histoires exotiques qui vous sont racontées, mais vous aimiez davantage le regard de celui qui découvre, qui essaye et qui tâtonne plutôt que de celui qui vous guide d’une main sûre sans se retourner.

Ceux qu’on avait presque oublié

Il y a comme ça des groupes qu’on écoute, qu’on apprécie et qu’on oublie dès l’année suivante, sans vraiment savoir pourquoi. Arrivés au mauvais moment ou tout simplement perdus dans les flots des bilans annuels, on avait oublié leur existence, mais la simple lecture de leur nom a pourtant ravivé de bons souvenirs. Et même si notre mémoire avait estompé leur souvenir, ils reviennent dans un état proche des bribes restantes dans notre esprit. 


 Il y a d’abord ceux qui avaient littéralement disparu depuis quelques années, comme Yeti Lane que l’on retrouve avec L’aurore, disque séduisant quiconque apprécie le son lancinant d’une guitare électrique. Peut-être plus brut que le précédent en donnant une place encore plus importante au grandes plages instrumentales tout en conservant son aspect planant, L’aurore est un album de nuit qui laisse tout juste venir la lumière, ce qui nous va tout à fait. Mais si Yeti Lane avait disparu de ma mémoire tout autant que des bacs à disques, ce n’est pas le cas de Mind Spiders qui est tout simplement passé de la catégorie « Découverte venue du fin fond du Web » à celle-ci sans que je ne m’en rende compte. Je retrouve donc un groupe qui m’avait séduit pourson garage touche à tout et je retrouve exactement le même, qui semble avoir évolué en avançant plus profondément vers des sons synthétiques, mais qui garde cette capacité à sortir des titres accrocheurs avec juste une dose de fureur dans le son pour se démarquer. Un genre tube-punk rare et assez vite ringardisé bien qu’étant tout à fait recommandé dans les moments de déprime. 


Parmi ceux que l’on a oublié, il y a la sous-catégorie colossale de ceux qu’on a vu en concert, mais dont on ne se souvient plus parce qu’à l’époque ils n’avaient pas sorti de disques. Cette année nous avons donc pu retrouver Jambinai, vu aux Transmusicales en 2014 et bonne surprise de cette édition. Groupe de post-rock sud-coréen, je dois dire que leur concert m’avait plutôt scotché par la présence d’instruments à cordes tout à fait inqualifiables (haegum et geomungo) mais particulièrement adaptés à leur registre sonore. Je retrouve donc dans A Hermitage toutes les caractéristiques qui avaient fait de ce live un moment mémorable quoique rapidement disparu de ma mémoire, probablement pour son étrangeté et sa personnalité insaisissable (en tout cas ce n’est pas l’alcool, je vous jure). Vu également à Rennes à plusieurs reprises, Totorro avait convaincu un large public avec un math-post-rock qui sied parfaitement aux concerts en plein air, alternant montées planantes, breaks complexes et envolées lyriques digne des meilleurs Explosions in the Sky. Associé à leur humour potache, Totorro était l’ingrédient parfait pour soirées rennaises réussies, et revient donc avec Come to Mexico, qui échappe tout de même de peu à la catégorie précédente tant on n’éprouve plus tout à fait le même plaisir à déguster une recette pourtant identique. Mais pour le plaisir de retrouver un groupe synonyme de bons souvenirs, je dois avouer que cet album a bien sa place ici. 

Ceux qu’on se souvient avoir aimé même si c’est un peu flou

Chaque année, il y a des albums qui obtiennent leur place pour le bilan final assez rapidement. Ecoutés plusieurs fois, on sait bien qu’on les a aimé, mais au moment de choisir une chanson dans la playlist finale nous vient à l’esprit cette pensée gênante : « Mais bon sang, c’était quoi déjà ce moment que j’ai adoré dans cet album ? » Pas que l’album soit devenu moins bon en quelques mois, mais c’est comme s’il avait changé. On le réécoute donc, on retrouve bien ce qui nous avait plu, mais on n’est plus vraiment sûr que c’est exactement la même chose que la première fois. Que ce soit par de nombreux titres courts, peu de titres très longs ou une cohérence qui brouille les pistes, ces albums paraissent mutants et son parfaitement insaisissables. 


 A l’heure d’évoquer Chester Watson, je peux évidemment parler de son flow nonchalant, de ses productions mélancoliques mais tout se mélange sans que je puisse en dire vraiment davantage. Il est clair que Lumisokea m’a frappé par ses sonorités industrielles et ses beats à vous retourner la tête sans bouger de votre fauteuil, mais puis-je vraiment évoquer plus de choses ? Et que dire de Kane Ikin ? Je me souviens surtout avoir été plongé dans une ambiance sombre porté par des lourdes basses et des claviers tantôt angoissants et tantôt portés par un rythme entêtant, mais tout cela ressemble davantage au souvenir d'un vieux rêve qu'à un album bien identifié.

Parce qu’on n’est pas toujours capable de parler de tout et sur tout, il faut tout de même mentionner ces albums qui nous paraissent hors de portée bien qu’ayant été parmi les plus convaincants de l’année.

Ceux qu’on essaye de passer en soirée mais qui ne tiennent pas longtemps

Chaque année on s’y risque, et chaque année on reçoit les mêmes quolibets : « C’est quoi ton truc, c’est chiant ! » ou « Tu veux pas changer ça me casse les oreilles ta merde » ou encore « Putain mais à chaque fois tu nous saoûles avec ta musique de hipster » etc. Las, on se résout rapidement à revêtir notre tenue de DJ old-school et à passer les mêmes classiques avec l’intuition et la dextérité des pionniers du genre. Mais pendant que Supermen Lovers surfe sur son énième succès de tube dansant teinté de nostalgie, on se prend à rêver d’un monde dans lequel on parviendrait chaque année à renouveler sa setlist avec des titres modernes qui colleraient bien à l’ambiance sans être pour autant une succession de tubes dance. 

Après l’accrocheur single « Rings », j’ai cru qu’Aesop Rock pourrait faire son entrée. Tout y était, la production d’inspiration rock pour séduire tout le monde, le flow tranchant et le refrain accrocheur. Je dois bien admettre que, sans avoir le succès escompté, ce titre a tenu jusqu’au bout sans vraiment faire sourciller. Mais sans le savoir, j’avais déjà atteint le seuil de tolérance de mon public. Le rap bavard et mordant d’Aesop Rock ne pouvait pas fonctionner plus de deux fois. J’ai tout de même tenté une seconde salve un peu plus tard, mais cette fois ci le verdict a été immédiat. J’y étais presque, j’ai entrouvert la porte mais lorsque j’ai voulu forcer le passage en mettant mon pied dans l’embrasure j’y ai perdu un orteil. Essaie encore.


 Il est toujours possible d’avoir du succès avec de la musique électronique, mais la recette n’est pas évidente à trouver. Il faut quelque chose avec une base rythmique suffisante pour garder l’envie de danser, donc exit toute musique déstructurée. Il faut également des sonorités un minimum proches de vrais instruments, on écarte donc le glitch et autres joyeusetés. A ce titre, Ketev pouvait apparaître comme un candidat crédible. Traces of Weakness est un album oscillant entre techno et soundscaping, parcouru de crépitements qui font office de fil rouge sur cet album expérimental très contemplatif. Justement, les passages les plus contemplatifs paraissent peu adaptés à une musique de soirée, mais les incursions technos m’ont semblé être un bon compromis. Malheureusement, ce qui apparaît comme une apogée dansante dans un album majoritairement dénué de rythme, se transforme en une longue plage monomaniaque de plus en plus angoissante dans une soirée entre gens civilisés. Encore raté et ce n’est pas l’excellent album paru la même année I Know No Weekend qui m’a permis d’égayer les soirées par des titres électroniques tout aussi sordides.

Il y a en soirée des moments où l’on a juste besoin d’un habillage sonore, d’une musique qui sait se faire discrète tout en étant assez agréable pour ne pas gêner lorsqu’elle se substitue à des conversations achevées. La desert music d’Ulaan Passerine m’a paru être la bande originale parfaite pour un film constitué de personnages mutiques, comme pourrait en réaliser Jim Jarmusch. Grand ensemble instrumental composé par tous types d’instruments à cordes, The Great Unwinding est la musique d’un film dans lequel j’aimerais jouer, mais n’étant pas acteur, il m’a semblé plus simple d’en faire la musique d’une scène de ma vie. Mais une fois de plus mon simple rôle d’acteur m’a confronté à la réalité de la démocratie exercée par mes collègues qui supportaient mal de voir des conversations tout à fait triviales soutenues par les crissements d’un violoncelle ou les drones d’une guitare qui donnaient à la soirée une intensité dramatique apparemment malvenue. 


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