Kurt Vile - Smoke Ring for my Halo

Quand on était petit, il y avait ceux qui savaient faire des bulles de chewing-gum, et maintenant il y a ceux qui font des ronds de fumée. Je me souviens bien du moment où j'ai appris à faire des ronds de fumée. J'avais acheté un paquet de cigarettes, et avec un ami on a passé plusieurs soirées de suite à perfectionner notre manière de fumer, jusqu'à maitriser à la perfection l'art délicat de ces sculptures momentanées. Et depuis cet entrainement intensif sur le balcon de ma chambre d'internat, chaque soirée est l'occasion de se distinguer de ses collègues fumeurs, pour quelques secondes. Une inspiration, une expiration, et on crée la forme la plus pure de l'univers qui reste en suspension un bref instant avant de se distendre et de s'évaporer. Comme une auréole furtive, comme s'il advenait une transsubstantiation divine lors de la courte durée de vie de l'anneau de fumée. Je ne sais pas si Kurt Vile sait faire des ronds de fumée, mais il a su habilement recréer cet effet mystique dans son nouvel album habilement intitulé Smoke Ring for my Halo. Deuxième album sorti sur l'excellent label Matador, Kurt Vile continue son travail en solo après l'expérience The War on Drugs, et montre toujours un amour débordant pour les dinosaures du folk comme Bob Dylan ou Neil Young.

Le temps d'un album, d'une chanson ou d'un accord de guitare, Kurt Vile devient un ange éphémère, un musicien venu du fond des âges matérialisé sous une forme précaire. Comme une apparition, il surprend et fascine dès les premières notes de « Baby's Arms », qui allient la rugosité acoustique de sa guitare à quelques arrangements éthérés qui suspendent la musique dans une atmosphère hors du temps. Comme s'il avait toujours été là, il nous joue ses chansons les plus évidentes, qui ont l'air d'avoir une bonne trentaine d'années d'âge, autant qu'elles paraissent étrangement modernes. Kurt Vile est classique jusqu'au bout de ses longs ongles de guitariste, il joue une musique qui a déjà mûri pendant des décennies dans une autre vie, mais qui ne parvient à nos oreilles que maintenant, transportant avec elle la poussière d'un autre temps, mais un temps qui n'est pas de notre monde. « Society is my Friend » et « In My Time » sont deux chansons qui paraissent avoir vécu ailleurs, car elles sonnent aussi vieilles que profondément contemporaines.

A la manière de Neil Young qui a toujours su créer ces moments où le temps s'arrête, Kurt Vile est un solitaire, n'aimant que la compagnie discrète de sa guitare. Leur collaboration accouche de plusieurs perles acoustiques qui n'ont rien à envier aux meilleurs, comme « Runner Ups » ou le brillant « Peeping Tomboy ». Mais ce nouveau Loner sait aussi s'accompagner et étoffer sa musique pour lui donner un aspect encore plus intemporel. « Puppet to the Man » semble avoir été interprétée dans un sous-sol enfumé au milieu des années 70, au moment où seuls quelques irréductibles continuaient à pratiquer le blues-rock crasseux pour des fans qui refusaient que l'on sacrifie la sincérité sur l'autel de la grandiloquence. Kurt Vile joue dans une « Ghost Town », peuplée d'esprits qui n'apparaissent à nous que dans des moments fugaces mais divins, avant de disparaître dans un écran de fumée psychédélique presque shoegaze. Et lorsque que l'on peut voir à nouveau, il n'y a qu'un homme avec sa guitare, et tout semble n'avoir été qu'une hallucination.

Ce nouvel album de Kurt Vile est comme une série de ronds de fumée, chaque chanson est un petit exploit d'arrangements subtils et hors du temps qui atteint une grâce fugitive sans que l'on ait vraiment compris ce qui s'est passé. Renouant avec les secrets bien gardés des plus grands, Kurt Vile signe un album d'une grande qualité mélodique sans pour autant s'éloigner d'un registre bien connu. Mais son auréole passagère ressuscite des atmosphère ancestrales qui donnent à Smoke Ring for my Halo une aura fascinante.


A lire également sur Brainfeeders & Mindfuckers. En écoute sur Spotify, et on remercie Pitchfork qui nous gratifie de somptueuses vidéos.


Commentaires

  1. C'est moi ou tes critiques sont de plus en plus réussies ? :) Ca m'a même donné envie de le réécouter ! Merci :) (j'ai beaucoup aimé le Orwell / A Hawk and a Hacksaw aussi).

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  2. Je te remercie ça fait plaisir ! Je les travaille davantage ces derniers temps, parce que j'ai pris le rythme de parution. Avant je privilégiais la quantité à la qualité, en suivant un schéma de chronique assez simple.
    J'essaie de revenir un peu à ce que je faisais du temps des Innocent Bystanders, mais en étant plus constant disons ! :)

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  3. C'est terrible, mais je ne l'aime pas celui-là. Et pourtant, j'avais crié sur tous les toits que Childish Prodigy portait super bien son nom.

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  4. Pas du tout ? Parce qu'il est pas si différent de Childish Prodigy je trouve. Que j'avais bien aimé d'ailleurs, mais qui est quand même un cran en dessous. Moins homogène je dirais, plus inconstant.

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  5. L'album précédent contenait des morceaux plus extravertis. La voix ressortait plus je trouve. Mais on dirait que Kurt Vile alterne: une fois c'est du rock, une fois c'est du folk. Aujourd'hui, c'est du folk.

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