Et si... les sessions Get Back avaient produit un autre album ?

Alors que j’avais pas vraiment le temps, j’ai pourtant trouvé celui de rattraper enfin le fameux documentaire de Peter Jackson sur les Beatles : Get Back. Pas franchement fan de Let It Be que j’avais même plus ou moins oublié, j’ai passé une bonne partie du visionnage à me dire que ça aurait été vraiment mieux si on avait eu la même chose pour les sessions d’Abbey Road. Et puis j’ai fini par me laisser absorber, au point de voir chacune de mes courtes séances comme des retrouvailles avec des amis. A force d’être attentif au moindre regard, à reconnaître chacun d’eux à leur intonation, on en vient à voir ces quatre musiciens géniaux comme rien de plus qu’une bande d’amis, dont on a le luxe de faire partie.
 
Et, comme pour les acteurs eux-mêmes, la musique devient presque secondaire. En revanche, on comprend la circonspection devant la présence mutique permanente de Yoko Ono, l’agacement devant l’enthousiasme un poil autoritaire de McCartney, avec lequel on ressent tout de même de l’empathie à le voir se démener face à un groupe devenu passif voire démotivé. C’est finalement John qui nous fait le plus de peine à osciller entre une apathie totale et une excitation pas vraiment productive. Il semble déjà avoir tourné cette page de sa vie et comme Ringo, vient aux sessions comme on pointe au turbin tout en préparant autre chose. Et on se dit que finalement, ils ne sont pas si vieux ces musiciens alors au sommet de leur carrière, ils sont même plus jeunes que nous. Pas forcément plus matures, donc comment ne pas se reconnaître dans leurs petites bisbilles, leur perdition face à leur vie personnelle malmenée par la notoriété ? Disons les choses franchement, on est même au bord des larmes quand McCartney est confronté à la possible dissolution du groupe. Lui, à qui l’Histoire a dressé un portrait un peu caricatural, qui baisse la garde et peine à cacher l’importance que ce groupe fondé à son adolescence a pour lui. Il faut croire que même les génies ont des crises existentielles.
 



Puisque ce sont désormais nos amis, on perd petit à petit notre objectivité. On a été un peu durs avec Let it Be peut-être. C’est pas une si mauvaise idée cette histoire de retour aux sources avec un concert à la clé. On en vient à les désirer, ces chansons qu’on a autrefois un peu méprisées. Et lorsqu’on les voit au travail, une partie de nous réalise à quel point le matériel présenté est fantastique. Comme cette scène surréaliste où Yoko Ono et Linda Eastman discutent pendant que Paul présente « Let it Be » sans que quiconque ne réalise l'ampleur du tube qui accompagne leur conversation. Ou celle où George travaille sur « Something », qui reviendra finalement pour Abbey Road, sans en avoir encore bien défini les paroles. Reste John, qui apporte lui aussi quelques compositions qui feront davantage briller sa carrière solo que les disques des Beatles, son style ayant pris une trajectoire différente des autres membres du groupe.

Le sentiment qui ressort du documentaire, au-delà de la vraie catharsis qu’est le concert final, est finalement une vraie frustration. Comment ces séances où des musiciens aussi doués, avec de telles chansons, ont-elles pu produire un album aussi décevant ? Parce qu’évidemment, j’ai voulu réévaluer Let it Be à la lumière du documentaire. Et j’y ai vu, certes, le potentiel que j’avais sans doute négligé précédemment, mais aussi le gâchis du choix des titres et de la production de Phil Spector. Corrigeons donc cet erreur et proposons ici une version alternative de la réalité :
 
 

 

Nous sommes en février 1969. Bien que poussives et compliquées, les séances du projet Get Back peuvent permettre aux Fab Four d’envisager leur publication sous la forme d’une album. Le concept initial est globalement respecté : une des faces de l’album comportera une série de chansons jouées en live, sans interruption, dans un esprit rock hérité de leurs débuts bien que sous influence du revival blues de l’époque. L’autre face reprend finalement l’idée du White Album : chaque membre se mue successivement en compositeur/parolier/arrangeur pour un ensemble de chansons sans doute décousues, mais qui témoignent de l’inspiration et du talent de leurs auteurs. Quelques mois plus tard, Paul propose au groupe de se réunir pour un album testamentaire. Abbey Road conclut donc la carrière des Beatles de la meilleure des manières :« And in the end / The love you take / Is equal to the love you make ».


Publié en mars 1969, Get Back comprend donc 12 titres et remplit la totalité de l’espace disponible sur le disque. John et Paul sont à l’origine de cinq titres chacun, George ayant composé les deux autres.



FACE A : BEATLE BY BEATLE

1. « Another Day » : l’album commence par un tube signé McCartney, dans la droite lignée de ses meilleures contributions. Le public retrouve dans cette chanson l’idée qu’il se fait des Beatles, entre harmonies vocales et arrangements classieux.

2. « Isn’t it a Pity » : le ton de l’album devient plus grave avec l’arrivée de George Harrison, qui confirme sa capacité à écrire d’excellentes chansons que Revolver et le White Album avaient déjà montré. Contrairement à la version présente sur All Things Must Pass, on peut imaginer qu’ici George Martin fait un fade out dès le solo autour de 4 minutes.

3. « On the Road to Marrakesh » : John Lennon tenait beaucoup à ce que cette chanson apparaisse sur l’album. D’une gestation compliquée, il faut attendre 1971 pour la voir enfin publiée sous le nom de « Jealous Guy », mais la version demo du White Album paraît plus proche de ce qui aurait été enregistré en 1969.

4. « The Back Seat of my Car » : Paul revient avec un nouveau chef d’œuvre, plus ambitieux que son autre contribution sur cette face. Chanson grandiose qui semble vouloir toujours échapper à son destin, elle finit par tout emporter dans son dernier quart en se résolvant à nous coller enfin les frissons qu’on attendait.

5. « Gimme Some Truth » : Toujours empreint d’un certain minimalisme brut qui caractérise les compositions de Lennon à cette époque (son premier album solo étant un chef d’œuvre du genre), c’est ici l’interprétation du chanteur qui conquiert l’auditeur, sans doute bien content de retrouver ses marques dans cette face au parcours sinueux.

6. « Hear Me Lord » : il revient donc à George de conclure la première face dans un style toujours aussi grave qui restera sans doute comme l’aspect le plus original de cet album, et finalement assez moderne pour l’époque. Et si Abbey Road reviendra par moments à plus de légèreté, on peut imaginer que le ton de certaines des compositions de George aurait mieux vécu les années 70.
 




FACE B : THE BEATLES GET BACK

7. « Let it Be » : Paul s’impatiente : « Should we do something else for a while ? ». Il se pose au piano et lance cette seconde face avec une des ballades dont il a le secret. Comme souvent, un John avare en compliments se contente d’un « that was alright for me ». Le public plébiscitera pourtant cette chanson qui restera même une des plus connues du groupe.

8. « I Got a Feeling » : le live se poursuit dans une veine blues-rock très populaire à l’époque, avec une des dernières compositions pouvant être légitimement créditée Lennon/McCartney. Le couplet de Lennon apporte certainement un peu de relief à la chanson, mais moins que le piano électrique de Billy Preston qui l’habille magnifiquement.

9. « Dig a Pony » : paroles absconses conclues par une déclaration d’amour, c’est bien John Lennon à l’œuvre ici autour d’un riff qui donne juste ce qui faut de punch à cette ballade ternaire largement mise en valeur par le son du Rooftop concert.

10. « Don’t Let Me Down » : probablement le sommet de ce live avec un John Lennon qui joue sa vie sur chaque vers au point d’en oublier les paroles, et encore une fois Billy Preston qui achève de confirmer à quel point sa présence est le ciment musical et relationnel indispensable de ce disque.

11. « Get Back » : le single publié en amont de cet album est ici présenté dans sa version live, qui met en avant ses qualités rock mais surtout l’apport incontestable de Ringo à son groove permanent, trop souvent négligé pour ne pas être mentionné.

12. « Across the Universe » : alors que tout le monde range ses instruments, John Lennon préfigure ses ambitions solos en prenant une guitare acoustique pour y chanter en guitare-voix une de ses plus belles compositions des sessions Get Back. Paroles cryptiques sur progression d’accord hypnotisante, l’album s’achève sur un sentiment doux-amer qui ne trompera pas l’auditeur sur la situation des Beatles au moment où le disque arrête de tourner.

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