En boucle : The Birthday Party, voyage en terre inconnue

Ville moyenne d'une région post-industrielle qui ne sait plus vraiment quel est son rôle dans le pays, perdue quelque part entre une capitale qu'elle a toujours vu avec défiance et un espace naturel qui contribue autant à son attractivité qu'à son isolement, voilà ce qu'est la géographie de la musique de Nick Cave.

Arrivé à la gare Let Love In, la navette vous emmène immédiatement à la place Murder Ballads et ses pubs. De là, vous pouvez prendre l'avenue Henry's Dream ou Tender Prey. A l'ouest, la première vous permet d'atteindre le quartier des restaurants The Good Son, alors que la seconde vous dirige vers le centre historique: la cathédrale Your Funeral... My Trial, le musée Kicking Against the Pricks, sans oublier les premiers immeubles aujourd'hui reconvertis en galeries d'arts From Her to Eternity et The First Born is Dead. Bien que très attachés à ce centre-ville, j'apprécie me balader dans les quartiers résidentiels du sud de la ville, The Boatman's Call et No More Shall We Part. L'urbanisation a également étendu la ville vers le nord, avec quelques quartiers dont on retient les deux grands projets architecturaux : le double immeuble Abattoir Blues/The Lyre of Orpheus, et les tours Grinderman, aujourd'hui abandonnées faute d'avoir trouvé preneurs. Aux marges de la ville, entre champs, lac et forêt, la randonnée allant de Push the Sky Away à Ghosteen a permis d'attirer quelques touristes.

 

Cette ville, je la connais plutôt bien, même si j'ai tendance à toujours traîner aux mêmes endroits. En revanche, il y en a un dans lequel je ne m'étais jamais rendu. Quartier ouvrier aujourd'hui partiellement abandonné par la municipalité, on a tout entendu à son sujet : terrifiant, dangereux, sale et propice aux trafics en tout genre. Ses rues sont comme des organes vitaux ravagés par des consommations excessives de stupéfiants, elle sont à la fois l'origine et le vice d'une ville qui a depuis pris une autre direction. Toujours évoqué dans les livres d'histoires, le quartier est pourtant absent de la plupart des circuits touristiques, à part ceux réservés aux baroudeurs aguerris. Son nom joyeux ne trompe personne : The Birthday Party. 

De passage dans la ville l'autre jour, j'ai soudain été saisi par une question existentielle : allais-je vraiment passer ma vie à croire les ragots sur ce quartier ? Que peut-il bien y avoir de si dangereux là-bas qui m'effraie encore aujourd'hui, moi qui ai quand même pas mal voyagé ? Je décide donc de m'y rendre. Ce n'est pas difficile à trouver, à vrai dire vous n'avez même pas besoin de vos yeux. Les hurlements, bruit de casse et coups de feu vous guident vers l'endroit dont on sent l'odeur avant de l'atteindre, la déchetterie s'y étant installée. De plus en plus inquiet, je prend mon courage à deux mains et traverse la rue qui sépare le centre historique de cet enfer annoncé. L'ambiance change radicalement alors que je passe à hauteur d'un terrain vague dont je ne sais pas dire s'il fait partie ou non de la déchetterie. 

   

Attiré par un bruit, je jette un œil et assiste à une scène parfaitement terrifiante. Un petit groupe s'est réuni ici et s'adonne à un spectacle morbide. L'un deux raconte comment il est tombé sur sa petite amie en train de le tromper et décrit en des termes sans équivoque comment il lui a planté un couteau dans la tête, ponctuant régulièrement son récit de hurlements. Devant lui, un des spectateurs se balance dans une danse instable, comme bercé par les paroles de son congénère, tandis qu'un autre semble pris de convulsions. Les trois ont l'air totalement possédés et ne réalisent pas ma présence. Je reste interdit, incapable de bouger mais sans pouvoir détourner le regard, comme devant un accident. Alors que je reprends mon chemin, je croise plusieurs groupes similaires, défoncés au crack, malmenant une jeune fille, se battant à mains nues. Je suis comme anesthésié, mais tellement fasciné par ce monde dont j'ignorais l'existence alors qu'il était juste là, à quelques rues. 

Finalement, l'adrénaline me submerge et je me précipite par la porte d'une ancienne chapelle dont le toit a brûlé il y a plus de quarante ans. Le ciel se découvre un peu, et révèle la beauté d'un lieu qui n'a pourtant rien fait pour plaire. Presque à mon aise, je reste un peu et rentre dans un des rares troquets dans lequel j'ai l'espoir de m'y faire servir une bière sans me faire agresser. Je finis par rentrer chez moi, un peu ivre mais fort d'une expérience qui aura totalement bouleversé ma géographie mentale de cette ville que j'apprécie tant.


Commentaires