En boucle : Italia 90, kick and rush contemporain

Mais pourquoi donc vouloir associer sa musique au Mondial 1990, ses coupes mulet, ses cartons rouges, sa mascotte nulle et ses matchs navrants ? L'idée est saugrenue pour n'importe quel amateur de football, sauf que le groupe de post-punk qui a choisi ce nom nous vient d’Angleterre, et de ce point de vue, Italia 90 évoque Gascoigne et Lineker, une défaite héroïque en demi-finale que le buteur suscité commentera avec fatalité, mais aussi une certaine renaissance pour un football anglais dont la dernière décennie a surtout été marquée par le hooliganisme, les drames et l’instrumentalisation politique de Margaret Tchatcher(1). L’Italie 90, c’est peut-être finalement le dernier moment où l’Angleterre était vue comme l’enfant terrible de l’Europe, ce pays dont la population avait tellement de mal à rentrer dans le rang, avant de devenir la vitrine du football moderne, cynique et aseptisé qu’on connaît aujourd’hui.

La beauté dans la laideur, la fierté dans la défaite, la nostalgie ambivalente d’une époque maussade qu’on a pas vécu mais qu’on fantasme comme brûlante de fièvre révolutionnaire, il n’y a guère que le football et les héritiers du mouvement punk qui le comprennent. A ce titre, Italia 90 est le nom parfait d’un groupe qui ne semble vouloir qu’une seule chose : puiser dans l’énergie du passé pour mieux pointer les dérives du présent. La nostalgie oui, mais celle qui vous replonge dans une saine colère pour secouer le monde qui vous entoure. Les genres alternatifs nés à la fin des 70’s n’ont pas plus survécu que le football aux tendances lourdes qui les ont transformé en spectacles de plus en plus déconnectés du moteur social qui les avait fait naître. Il y a donc quelque chose de naïf à vouloir rejouer une scène qui n’intéresse plus personne, mais c’est justement cette naïveté si rare qui donne au groupe son caractère. Oui, aujourd’hui on regarde la fureur de l’indigné non plus avec effroi, mais avec un sourire attendri. 


Malgré cela, ne négligeons pas le plaisir d’entendre une chanson user aussi efficacement des ficelles du passé pour dire quelque chose du présent. « Harmony » vient clore un album si fidèle à l’anti-conformisme punk qu’il ne cède que rarement – trop peut-être – à la facilité d’une mélodie accrocheuse ou d’un refrain fédérateur, excepté les excellents « New Factory » et « Tales from Beyond ». Reste que « Harmony » synthétise parfaitement les qualités et l’ambiance sonore intrigante de Living Human Treasure. Une basse très en avant qui assure l’essentiel de l'harmonie pendant qu’une guitare agonise des mélodies stridentes noyées dans la réverbération, une batterie imperturbable qui ne sort de sa boucle que pour faire monter la tension et relancer la litanie qui tient lieu de paroles, nous voilà bien en territoire post-punk dans une recette déjà éprouvée sur « Competition » avec succès. Sauf que les dites paroles trahissent une production beaucoup plus contemporaine en dressant le portrait d’un homme que l’on pourrait qualifier de « toxique », dans un esprit très clairement post #Metoo. Et en lieu et place de refrain, une simple phrase qui pourrait déclencher des stress post-traumatiques à de nombreuses femmes : « That really wasn't me, I'm an angel usually ». Ce « usually » traînant, comme cédé à contre-coeur en échanges de remords que l’on n’ose pas avouer, est si lourd de sens que le chanteur n’a, effectivement, pas besoin de faire autre chose que de répéter inlassablement son mantra comme une méthode Coué.

On aurait pu se contenter de cela, mais le titre prend un virage soudain - qui n’est pas sans évoquer Magazine - en baissant tous les curseurs pour un pont suspendu qui fait l’effet d’une balle qu’on observe au ralenti avant l’impact. Traitant d’après le groupe du rôle des mouvements féministes dans les révolutions, le propos reste moderne fait se fait plus factuel, voire analytique. Il faut donc le brutal retour sur terre sonné par une dernière embardée punk pour que la chanson, et l’album donc, se concluent par la rage vindicative qui était terrée jusque là. Et si on n’est pas vraiment sûr de saisir tout ce qu’on veut nous faire comprendre, reste une certitude : Italia 90 is for real, et peut-être pas si naïf après tout, sachant très bien quand et comment nous amadouer avec un œil vers le passé, pour nous bousculer avec un œil sur le présent. Appel au premier poteau, centre au second poteau, coup de tête victorieux, comme le premier but de l’Angleterre face au Cameroun. Peut-être que dans la musique, à la différence du football, à la fin ce sont les Anglais qui gagnent.
 
 
 (1): Les clubs anglais sortent de 5 ans d'interdictions de compétitions européennes suite au drame du Heysel à Bruxelles, auquel succède celui de Hillsborough à Sheffield. Pour le mondial, les hooligans anglais inquiètent tellement les organisateurs que l'Angleterre jouera tous ses matchs de poules en Sardaigne, loin des autres équipes. Sur ce mondial si particulier pour les anglais, lire l'excellent article des Cahiers du football.

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