The Psychotic Monks : gros plan sur le chaos.

The Psychotic Monks - Pink Colour Surgery (Vicious Circle, 03 février 2023)

Une des formules toutes faites qu’on peut entendre à propos de certains albums est qu’il sont comme « la bande-originale d’un film qui n’existe pas ». Et si certains ont effectivement pris cette idée au pied de la lettre, la plupart du temps on veut juste se montrer bienveillant envers un ensemble de titres trop longs et répétitifs pour nous apparaître comme des chansons et pas assez accrocheurs pour qu’on n’essaie pas de trouver ailleurs un sens qu’il ne savent pas nous révéler. Au fond, l’idée est assez négative : on aurait besoin d’un film pour apprécier correctement ces albums, de la même façon qu’une bande-originale est justement composée pour servir un film, sans se substituer aux images qui en sont le vrai centre de gravité pour le spectateur.

Ne bottons pas en touche : il y a un peu de ça ici, et si on faisait les comptes, l’équilibre entre habillage sonore d’ambiance et instrumentations organisées pencherait à peine en faveur des secondes. Mais la question n’est pas là. Pink Colour Surgery n’est pas une bande-originale d’un film qui n’existe pas, c’est un album qui emprunte au cinéma un vocabulaire et une temporalité qui nous invitent naturellement à imaginer les scènes qu’il pourrait illustrer. Une musique de film ne fuit ni le silence ni la lenteur, bien au contraire. Comme elle ne fait que soutenir des images en mouvement, il est rare qu’elle cherche à créer sa propre structure et à guider le spectateur sur un chemin parallèle à celui de l’écran. Il lui faut donc savoir être discrète et naviguer intelligemment entre décor de fond et protagoniste en action. En s’inspirant de cet état d’esprit, ce n’est pas tellement que les Psychotic Monks se rapprochent du cinéma car leur musique n’a rien de discrète, mais surtout qu’ils s’éloignent autant que possible du formatage rock le plus classique pour proposer une musique spectaculaire, savamment orchestrée pour retranscrire à l’oreille les sensations et la cohérence d’une performance scénique. 


Trop long, l’album l’est sans doute par moments, mais répétitif, pas vraiment. On y voit se bousculer des guitares rock dissonantes dans un tonnerre de synthétiseurs et des rythmes de batteries syncopés se dissoudre dans de vastes nuages d’ether. Toutes les nuances du chaos nous sont montrées droit dans les yeux, comme dans un jeu d’échelles étourdissant. De l’infiniment grand du vacarme à l’infiniment petit du craquement léger, l’univers dessiné par la musique reste cohérent sans perdre de son pouvoir de fascination. Le temps ayant peu d’importance, on finit observer autant les textures que les formes, jusqu’à ce que celles-ci changent brutalement et nous replongent dans une scène différente. Séduits par le début relativement conventionnel de « Post-Post » qui réserve déjà son lot de surprises, on ne voit pas arriver le torrent industriel de « Gamble and Dangle » qui semble faire rendre l’âme aux micros comme une catastrophe nucléaire. Et lorsque « Crash » surgit, on est comme projetés dans un club improvisé en sous-sol qui suinte l’angoisse, pas si éloigné du lieu glauquissime que fait visiter Tobey Maguire dans Babylon, scène qui aurait peut-être eu plus d’intérêt réinsérée dans l’univers de Pink Colour Surgery. L’album nous propose bien un spectacle, mais il est clair que ce n’est pas une comédie. La noirceur générale de la production invite plutôt à imaginer le miroir d’une catastrophe dont les causes paraissent infinies.

Le répit des deux titres suivants n’est que de courte durée et les Psychotic Monks prennent un malin plaisir à soigner leur mise en scène dans un décor qui nous paraît initialement rassurant, presque apaisant, avant de virer à l’horrifique dans sa conclusion au point qu’on serait tentés de réclamer une restriction d’âge. Comme il se doit, c’est lors du dénouement que l’album tombe le masque et révèle le plus crûment son propos, et c’est probablement dans cette intention qu’on été interprétés et choisis « All that Fall » et « location.memory », apothéose et épilogue d’une aventure musicale peu commune. Cinématique comme jamais sur le premier en sachant faire monter la tension dans les extrêmes, le groupe varie le rythme, module l’intensité et insiste sur le silence pour nous jouer son dernier tour qui se termine par un « Are you watching now ? » répété comme un mantra. On est pas loin de répondre positivement tant, à ce stade, la musique est évocatrice et semble agir sur nos yeux davantage que sur nos oreilles. Pink Colour Surgery n’est peut-être pas de cette race de films qu’on a envie de revoir en boucle, mais certainement de celle dont les images impriment notre cerveau durablement. 

 

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