En boucle : En attendant Ana, l'hiver est fini

Je crois que j’en avais sérieusement besoin. J’avais même fini par oublier ce sentiment. Depuis le début de l’année et ce, sans vraiment le chercher, je ne trouvais de satisfaction que dans les sons les plus noirs, les plus dissonants et déstructurés, comme si au fond je ne souhaitais pas vraiment trouver ni apaisement ni sérénité mais simplement me vautrer dans des ambiances malsaines sans le moindre confort. Restons honnêtes cependant et avouons le, je fais partie de ces personnes qui aiment tout repeindre en noir et qui y trouvent un réel plaisir. Mais il y a malgré tout un certain épuisement à toujours être dans la joie finalement très intellectuelle de la brutalité, de l’anormal et du chaos. Alors oui, j’en avais sérieusement besoin et peut-être que n’importe qui aurait pu faire l’affaire. Fort heureusement, ce fut un groupe français nommé En attendant Ana qui se chargea de panser mes plaies soigneusement entretenues, et je ne peux pas croire que quiconque aurait pu se charger de cette tâche avec plus de réussite. 
 

Il y a pourtant beaucoup plus de choses qu’un simple collier de perles pop délicatement polies dans Principia. On y entend des guitares claires mais plus complexes que de simples arpèges majeurs (« Ada, Mary, Diane », « To the Crush »), des cuivres qui savent aussi bien arrondir les angles que bousculer les fins de chansons (« Same Old Story », « Anita »), et des excursions vers des structures ascendantes plus immersives qui, dans un autre contexte, pourraient me faire voler de nouveau vers le soleil noir de la mélancolie (« Wonder », « The Fear, The Urge »). Oui mais voilà, ce qu’on entend surtout, c’est la rondeur d’une basse qui ne peut que vous réconforter, et surtout une voix d’une pureté et d’une agilité qui rappelle Laetitia Sadier et Victoria Legrand, évidemment, deux autres Françaises exerçant leurs talents dans la langue de Shakespeare, mais également parfois la regrettée Trish Keenan. Tout est une histoire de contexte donc, et même de rencontre. Celle d’un groupe exigeant qui se veut pourtant le plus simple possible, et d’un auditeur perturbé qui ne sait pas encore qu’il a besoin, pour une fois, qu’on lui dise les choses avec douceur. Il y a chez En attendant Ana une esthétique, pas vraiment minimaliste, mais économe. Le moins de notes pour dire le plus de choses et savourer en pleine conscience la musique plutôt que de chercher à intellectualiser le manque d’évidence pour y trouver un propos.

C’est donc une rencontre faite d’évidence, et qui commence par un titre qui joue sa partition en toute franchise dès les premières secondes. « Principia » introduit l’album éponyme en étant un des rares à ne pourtant pas avoir d’introduction. Tout est posé sur la table dès la première minute. Le tempo est ralenti, les instruments sont – presque – tous là et on rentre d’un coup dans un refuge cotonneux. D’un coup, mais pas brutalement. Tout ici est d’une délicatesse sans pareil. Alors, devant une telle honnêteté, on baisse la garde sans même y réfléchir. Tous les masques tombent, le poids des angoisses et des complexes s’évanouit et on s’arrête pour profiter du rêve avant qu’il ne soit trop tard. Un accord résonne et la voix de Margaux Bouchaudon se fait entendre, qui nous paraît également avoir commencé avant qu’on arrive : « And if you take a look outside / Just tell me what you see ». Les mots ne sont pas ceux de quelqu’un qui chercherait à tout prix à vous inonder de bonheur béat et désincarné, mais de quelqu’un de profondément proche de vous, bienveillant et d’une douceur thérapeutique. 


Pour tout refrain, une batterie qui accompagne quelques accords syncopés et quatre notes qui imprimeront définitivement ce délicieux souvenir dans votre mémoire. La tension monte à peine lorsque le feedback se fait entendre, mais juste assez pour nous convaincre que tout ceci n’est pas une distraction décérébrée, mais simplement une pause tout à fait lucide sur sa nécessité. Raison de plus pour la prolonger et s’abandonner à ce « Principia » répété comme un mantra. Un nouveau départ s’annonce et l’album qui suit sera tout aussi efficace, mais rien ne vaudra jamais cette première rencontre vers laquelle on revient en boucle, comme un souvenir heureux qu’on pourrait revivre à l’infini.

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