Breaking Bad: When the sun goes down
[Taux de spoilers probablement supérieur à 40%]
« Maybe he flew too close to the
sun ». Furieux de l'attitude de Mike envers lui, Walter se
compare indirectement au soleil par cette remarque sibylline, beaucoup
plus symbolique des enjeux de cette saison qu'on ne le réalise à la
fin de ce troisième épisode. Quelques semaines plus tard dans
l'épisode « Say my Name », Walter rencontre un
narcotrafiquant au milieu du désert. Le soleil est à son zénith,
et l'ancien professeur de chimie n'a jamais paru aussi sûr de lui.
En pleine possession de ses moyens, il rayonne et éclipse toute
personne qui viendrait s'opposer à ses désirs. Sa métamorphose est
enfin complète, Walt est le boss, il le sait et le fait savoir.
Cette quête du pouvoir comme une ascension au dessus des autres a
traversé cette demi-saison remarquable pour culminer à ce moment
précis, avant-dernier épisode qui -comme ses homologues avant lui-
amorce un virage décisif.
Here comes the sun
A l'aube de cette nouvelle saison, le
spectateur attentif pouvait imaginer deux choses : le difficile
retour en arrière de Walter après l'année éprouvante qu'il vient
de vivre1
ou bien la poursuite en avant. C'est dans la deuxième direction que
Vince Gilligan a choisi d'orienter son intrigue, et les conséquences
sur les
motivations des personnages des évènements qui clôturaient la saison précédente sont claires dès « Live Free or
Die ». Désinhibé par son récent succès, Walter en veut
plus, au point d'oublier tout ce qui l'a guidé jusqu'à présent. Il
vit désormais pour le plaisir d'exercer son pouvoir et de tester ses
limites. « We're done when I say we're done », car
désormais il est le seul à décider ce qu'il fait, et sa
mégalomanie prend tout son entourage dans son filet. Vue de loin,
cette demie-saison ne fait qu'illustrer les abandons successifs de
chacune des personnes concernées par l'entreprise Heisenberg –
cette vague de désespoir allant jusqu'à toucher Hank, sauvé
seulement dans les ultimes secondes. Mais vue de près, cette saison crépusculaire
rassemble tout ce que Breaking Bad fait de meilleur, comme s'il
fallait synthétiser quatre saisons de quasi-perfection en huit
épisodes.
L'humour de la première, la cohérence
de la deuxième, la tension de la troisième et la folie de la
quatrième, on retrouve tout cela ici, à un degré sans doute moins
poussé mais avec un talent certain. Après avoir ouvert sur un
flash-forward évidemment incompréhensible, cette demi-saison avance
sur un rythme plus soutenu qu'à l'accoutumée, tant d'un point de
vue chronologique que pour la succession des rebondissements.
Breaking Bad progresse avec une facilité déconcertante,
introduisant de nouveaux personnages avec brio – Lydia, qui apporte
une touche de mystère et d'humour donnant un nouveau souffle à
cette saison – ou faisant exploser des anciens – Mike, campé par
un Jonathan Banks qui crève l'écran comme jamais. Ces deux
personnages présentent chacun un reflet de l'essence même de
l'expression « breaking bad », et le jeu de miroirs ainsi
composé avec Walter donne toute sa richesse aux questions soulevées
par la série. Jusqu'où aller dans l'illégalité ? Quelles
priorités donner à sa vie ? En les confrontant aux mêmes
choix pour leur attribuer différentes réactions, chacun des huit
épisodes apporte une élément de réponse, et le personnage le plus
vulnérable n'est finalement pas celui auquel on pensait. Cette
symétrie se ressent également entre les saisons, comme le
terrifiant retour en arrière provoqué par la conclusion de « Dead
Freight », qui place Walter dans une situation délicate, en
contradiction avec ses propres choix passés.
Cette demi-saison joue essentiellement
sur le changement de statut de ses personnages au sein de la même
entreprise. Les scénaristes prennent un malin plaisir à tirer les
mêmes ficelles pour montrer au spectateur à quel point l'univers de
la série a été bouleversé depuis le tout premier épisode, avec
la destruction de plusieurs symboles que l'épisode « Fifty-One »
met le mieux en lumière. Le spectateur assiste à une succession
d'ordalies qui le placent en juge de la destinée des personnages
principaux, et tout est fait pour provoquer l'empathie envers Jesse. Parvenant enfin à s'extirper de son rôle de jouet entre les
mains du hasard, il nous offre
pour la première fois un nouveau regard sur Walter. Jusqu'au bout le
personnage de Jesse aura été l'instrument des scénaristes pour
manipuler les sentiments du spectateur et c'est donc quand il
résiste enfin à son mentor que l'on réalise pleinement la nouvelle
nature de ce dernier. Paradoxalement, c'est au moment où celui-ci
est au sommet qu'il est abandonné de tous.
Flight of Icarus
Tel le soleil, Walter finit donc par
détruire tout ce qu'il touche au point que le dernier épisode
ressemble parfois à du Sofia Coppola tellement la solitude suinte de
chaque plan. De manière brillante, les scénaristes sont donc
parvenus à montrer l'affirmation du pouvoir de Walt en
même que son affaiblissement progressif vis à vis de l'enquête
menée par Hank. Dès « Madrigal », l'étau
se resserre autour de l'entreprise Heisenberg : même si celui
ci fait tout pour retarder l'échéance, la police avance à grands
pas et porte des coups qui ont une influence non négligeable sur les
choix des personnages -notamment Mike. C'est ainsi que l'on arrive
insidieusement à la scène finale de « Say my Name ». Le
soleil se couche, Walter semble pour la première fois désemparé,
et paraît enfin prendre conscience des conséquences de ses choix,
beaucoup moins réfléchis que ce dont il avait finir par se
persuader. Après s'être pris pour Scarface ou Jesse James – cette
deuxième référence étant sans doute la plus intéressante –
Walter réalise l'ampleur du fossé qui le sépare de ces personnages
ayant passé leur vie dans la criminalité.
Et
c'est ainsi que la séparation de cette dernière saison en deux
parties a été le plus astucieusement récupérée par les
scénaristes. Tout dans le mid-season finale qu'est « Gliding
Over All » s'apparente à une fin, un happy end comme au cinéma
qui laisse penser que Walt avait réellement acquis tout contrôle
sur l'intrigue au point de terminer la série lui-même. « We're
done when I say we're done » disait-il, et le dernier quart
d'heure de l'épisode semble lui donner raison. Mais Breaking Bad est
une série et non un film, donc l'inertie du mouvement amorcé depuis
quatre saisons et demi ne pouvait s'arrêter comme ça. « Gliding
Over All » nous offre au final une sorte de fin alternative en
même temps qu'il lance la fin de la série telle qu'on l'avait
imaginée depuis longtemps. Le cliffhanger qu'on n'attendait plus
rebat une dernière fois les cartes, au point que l'on remet en doute nos
conclusions sur les rôles d'Icare et du soleil dans cette histoire.
1 Oui,
un an seulement s'est écoulé depuis le début de la série.
Pour un résumé plus en détail, je ne saurais que vous recommander une visite chez l'ami Dylanesque: ici et là.
Breaking Bad saison 1-3
Breaking Bad saison 4
Pour un résumé plus en détail, je ne saurais que vous recommander une visite chez l'ami Dylanesque: ici et là.
Breaking Bad saison 1-3
Breaking Bad saison 4
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